Rentrée économique printanière

Avec la volatilité causée par les différentes mesures américaines et la guerre tarifaire en cours, le printemps promet d’être fertile en rebondissements partout dans le monde. En nous appuyant sur le modèle réputé de la Banque du Canada, nous envisageons les effets possibles sur l’économie canadienne à court et moyen terme.

Pierre : Bienvenue au balado À vos intérêts! de iA Groupe financier. Je m’appelle Pierre Dolbec et je suis en compagnie de mon collègue et stratège en chef Sébastien Mc Mahon. Bonjour Sébastien.

Sébastien : Salut Pierre. Comment ça va aujourd’hui?

Pierre : Ça va très bien. Et toi?

Sébastien : Oui, ça va très bien. On commence le printemps. La neige fond, donc on va faire la rentrée économique pour le printemps 2025 ensemble aujourd’hui.

Pierre : Tout se réchauffe. Sébastien, lors des derniers épisodes, nous avons discuté de l’effet Trump lors du premier mois de sa présidence. Maintenant que le printemps est à nos portes, toute l’attention médiatique et économique nord-américaine semble polarisée, alors que les États-Unis et le Canada sont entrés en pleine guerre commerciale. Peux-tu nous dresser le portrait des mesures concrètes qui ont été mises en place par les États-Unis?

Sébastien : Oui, tout à fait. Ce qui nous intéresse le plus, ce sont les mesures qui ont été placées sur le Canada, mais on dirait que Donald Trump s’en prend un peu à tout le monde. Il a mis des mesures sur la Chine : il y a des tarifs de 20 % sur toutes les importations en provenance de la Chine. Ce sont des tarifs supplémentaires par rapport à ce qui était déjà en place. Il menace l’Europe… Bien sûr, on va passer les menaces d’annexion du Groenland, d’aller reprendre le canal de Panama et puis d’annexer le Canada aussi. Donc on va se concentrer sur les faits aujourd’hui. On va regarder ce qui a été annoncé.

Les mesures américaines, en ce moment, c’est 25 % de tarifs qui ont été imposés sur les marchandises qui ne satisfont pas aux règles d’origine de l’ACEUM. Ça, ce que ça veut dire, c’est que là, on a un accord de libre-échange qui a été resigné en 2020, qui a été négocié par l’équipe de Donald Trump lui-même pour le libre-échange nord-américain. Puis, pour pouvoir satisfaire aux règles d’origine de cet accord-là, il faut remplir de la paperasse. Et puis il y a plusieurs produits pour lesquels les entreprises ne sentaient pas le besoin de remplir la paperasse parce que même si on n’embarquait pas sur les règles de l’ACEUM, on n’avait pas de tarifs ou des tarifs très petits comme du 0,1 ou du 0,2 %. Donc les entreprises se disaient : « Je ne me donnerai pas la peine de remplir tout ça. » Mais maintenant, si tu ne remplis pas les documents qui sont nécessaires pour montrer que tu satisfais aux règles d’origine, tu vas avoir des tarifs de 25 %. Et ça, ce que ça veut dire, c’est que c’est environ 5 à 7 % des exportations canadiennes vers les États-Unis qui sont frappées par ces tarifs-là parce qu’il y a environ 95 % des exportations canadiennes vers les États-Unis qui satisfont aux règles d’origine de l’ACEUM. Donc, c’est une mesure qui est assez mineure pour le moment.

Il y a les produits énergétiques et la potasse qui ne bénéficient pas de la préférence de l’ACEUM , qui sont taxés à 10 %. Donc il y a une partie de ces exportations-là seulement. Et puis les marchandises qui se qualifient selon les règles de l’ACEUM n’ont pas de tarif. Ce sont l’acier et l’aluminium en ce moment qui subissent les tarifs les plus importants et qui sont taxés à 25 %. Mais ça, c’est une mesure qui a été imposée à tous les pays. Donc le Canada n’est pas désavantagé par rapport à d’autres pays du monde en tant qu’exportateur d’acier et d’aluminium vers les États-Unis.

Pierre : Et à travers de tout ça, quelle a été la réaction du Canada à ces mesures?

Sébastien : Bien, c’est sûr que le Canada, pour défendre sa souveraineté, il n’a pas le choix de répliquer. Donc il y a plusieurs façons de le faire, et on voit qu’il y a eu des reculs qui ont été faits avec les menaces de mettre des taxes sur les exportations d’électricité en Ontario. Mais en ce moment, ce qu’on voit, c’est que le Canada a appliqué un tarif de 25 % sur environ 60 milliards de dollars de marchandises américaines en représailles aux tarifs de Trump qui sont liés aux frontières et aux métaux.

Le gouvernement considère également les tarifs sur environ 100 milliards de dollars supplémentaires de marchandises américaines qui seront imposés si Trump poursuit avec une troisième série de ce qu’il appelle des tarifs réciproques sur les marchandises du monde entier et qui devraient être annoncés, selon Donald Trump, le 2 avril prochain.

Vous comprendrez que dans le moment où on enregistre ces balados-ci, on est avant le 2 avril, donc on ne sait pas encore exactement ce qui va être annoncé à ce moment-là. Donc, notre scénario de base est que tout ça, ça va durer, que la doctrine est forte au sein de l’administration américaine, que les tarifs, ça va perdurer. Mais est-ce qu’on va avoir 25 %? Est-ce qu’on va avoir plus que ça, moins que ça? Est-ce que ça va durer longtemps? Est-ce que ça va mener à des négociations? C’est difficile de le dire, mais j’ai bien l’impression qu’en 2025, cette guerre commerciale va s’installer et qu’il n’y aura pas vraiment moyen de s’en sortir.

Pierre : Et donc, en présumant que ce conflit économique ne sera pas de courte durée, comment peut-on envisager les effets possibles sur l’économie canadienne?

Sébastien : Pour bien illustrer ça, ça prend des modèles économiques sophistiqués et je vous dirais qu’en ce moment, dans le monde, est-ce qu’il y a des modèles économiques qui sont capables de bien intégrer ça? Je ne suis pas certain, mais un modèle économique qui est considéré comme un des meilleurs au monde, généralement, c’est celui qu’a développé la Banque du Canada. Et selon ses estimations à elle, il y a un risque de récession en 2025 qui est assez élevé, peut être aussi en 2026, parce que les impacts pourraient peut-être frapper à la fin de 2025 ou au début de 2026 de façon le plus importante.

Parce que quand on met des tarifs douaniers, bien ce sont les importateurs américains qui paient. On a déjà expliqué ça par le passé. Donc ce sont les carnets de commandes qui sont impactés. Donc toutes les commandes qui ont déjà été faites, généralement, les entreprises américaines vont continuer de recevoir réception de tout ça. Mais si on arrête de commander au Canada, les impacts peuvent prendre quelques trimestres. Donc un environnement récessionniste en 2025-2026, c’est assez probable.

Selon la Banque du Canada, on regarde un choc d’environ 4 % de négatif sur la croissance. Donc les attentes étaient pour une croissance d’environ plus 2 % cette année. Donc +2 moins 4 %, ça nous amène à peu près à moins 2 % cette année. Je dirais que c’est un scénario de base qui a un certain sens. Au net, si ça dure, disons qu’il y a des tarifs qui sont imposés, qu’on mette des contre-mesures, puis tout le monde reste sur ses positions de façon indéfinie, maintenant, ce que la Banque du Canada estime, c’est qu’il y aurait un recul permanent de 2,5 % sur la croissance du PIB canadien.

Donc, imaginez une ligne qui est le PIB canadien, une ligne qui monte dans le temps. Imaginez qu’elle baisse d’un niveau de 2,5 %. Elle continue de monter, mais on ne retournera jamais sur la tendance initiale qu’on avait. Donc c’est comme ça qu’il faut le voir.

Déjà, il y a des impacts quand même assez importants. La Banque du Canada a pris une décision récemment de baisser son taux directeur le 12 mars. Au moment qu’elle a annoncé cette décision-là, elle a aussi commencé à publier un nouveau sondage qu’elle fait auprès des ménages et des entreprises. Puis quand on vous dit que l’impact de l’incertitude est réel, il y a déjà 25 % des ménages qui pensent augmenter leur épargne de précaution. Puis ça, on dit souvent qu’une récession, ce sont des gens qui gardent de l’argent dans leurs poches. Donc 25 % des ménages qui pensent épargner plus, ça veut dire des gens qui vont consommer moins.

Cinquante pour cent des entreprises affectées pensent refiler la hausse des coûts à leurs clients, donc les entreprises qui sont affectées par les tarifs qu’on met en contre-mesure aux États-Unis. La facture va aller à qui? Elle va aller probablement aux consommateurs.

Quarante pour cent des entreprises canadiennes pensent réduire leurs embauches dans les douze prochains mois.

Cinquante pour cent des entreprises pensent réduire les investissements.

Donc l’incertitude pèse déjà sur l’économie canadienne.

Pierre : Et maintenant qu’on a parlé des effets sur l’économie canadienne d’une guerre commerciale qui perdurerait, quels seraient les effets possibles sur l’économie américaine?

Sébastien : L’économie américaine aussi va subir des contrecoups, et on voit que la confiance des ménages est déjà en fort recul. Il y a un effet de richesse négatif déjà. Aux États-Unis, les ménages ont tendance à consommer une plus grande part de leurs revenus qu’ailleurs. Puis les riches contribuent encore plus qu’à peu près n’importe où ailleurs à la croissance de la consommation américaine. Donc, si on a un choc à la baisse sur les marchés boursiers, si on a un choc sur les actifs financiers, bien ça veut dire que c’est un effet de richesse négatif : les gens vont consommer moins. Donc aussi, là, on s’attend à avoir un ralentissement de la croissance.

Puis récemment, on voit que dans les chiffres de confiance des ménages, il y a une composante... On pose la question aux gens : « Quelles sont vos attentes pour l’inflation dans les douze prochains mois? » Puis maintenant, ça a bondi à 4,9 %. Ça, c’est presque aussi élevé que ce que les gens anticipaient en 2022. Et on sait quel genre de régime d’inflation on a vécu en 2022 et 2023.

Donc le canal principal, c’est moins de dépenses de consommation, moins d’achats de maison, moins d’achats de voitures, moins d’achats de meubles. Tout ça, ça a des effets économiques importants.

La baisse de l’appétit pour le risque aussi, une pression sur les marchés financiers avec toute cette incertitude-là et surtout peut-être moins de soutien pour les républicains de la part de l’opinion publique lors des élections de mi-mandat en 2026. Donc peut-être que c’est là qu’on pourrait avoir un changement dans le balancier. S’il y a du dommage qui est fait par l’administration Trump au point de vue économique, ça pourrait donner une impulsion au Parti démocrate, puis Donald Trump pourrait perdre sa super majorité qu’il a là, lors des élections de mi-mandat à la fin 2026.

Quand on regarde la confiance des entreprises, pour le moment, elle tient bon. C’est important de suivre ça quand même de très près parce que les tarifs vont frapper directement plusieurs grands secteurs économiques. Mais le marché du travail et les investissements, en ce moment, ça va bien,mais c’est quand même un risque en fin d’année 2025.

Pierre : Et on a vu plus tôt cette année que les marchés ne réagissaient pas trop aux déclarations de Donald Trump, mais on a pu observer que ces mêmes marchés ont réagi fortement dès que les droits de douane ont été appliqués. Que peux-tu nous dire à propos de l’évolution des marchés?

Sébastien : Bien, on voit que Wall Street est tombé en territoire de correction. Et ça, c’est arrivé la semaine dernière. Donc on enregistre ça ici, on est le 18 mars. Donc la semaine dernière, le marché a fermé à un niveau qui était 10 % plus bas que le plus récent sommet. Donc c’est un territoire de correction.

Ce qui est intéressant, c’est que le S&P 500 est en territoire de correction, le Nasdaq est en territoire de correction, mais ailleurs dans le monde, on n’en voit pas encore des corrections. Donc le TSX, la bourse canadienne, n’est pas en correction. L’Europe fait très bien. On a une performance de plus de 15 % depuis le début de l’année. Les actions chinoises sont en hausse d’à peu près 20 % depuis le début de l’année.

Donc, quand on vous parlait dans notre revue de fin d’année qu’en 2025 c’était important la diversification géographique, on a les deux pieds dedans, là. Parce que le marché américain était très dispendieux, en plus basé sur des attentes qui étaient très élevées, donc on s’attendait à la perfection, les autres marchés étaient abordables, avec des attentes qui étaient dépréciées pour la croissance.

Donc on se doutait qu’à un certain moment, s’il y avait un choc assez important, on pourrait voir cette rotation-là des marchés se passer. On est dedans en ce moment. La suite des choses, ça va dépendre de l’administration Trump, mais en ce moment, jusqu’à tant qu’on ait un peu plus de clarté ou une finalité sur l’histoire des tarifs, je pense que c’est raisonnable de s’attendre à un régime de volatilité qui va rester sur les marchés.

Pierre : Chose certaine, l’évolution de ce conflit entre les deux pays va certainement demeurer un sujet chaud dans le prochain trimestre.

C’est tout pour nous aujourd’hui. Merci Sébastien pour cette analyse printanière qui nous éclaire sur ce à quoi on peut s’attendre pour le reste de l’année, malgré toute l’incertitude dans laquelle nous naviguons. Et merci aussi à nos auditeurs et auditrices. On se retrouve dans deux semaines pour un prochain épisode du balado À vos intérêts!

Ashleay : (voix préenregistrée) Vous avez aimé cet épisode et vous aimeriez en apprendre davantage sur l’actualité économique? Abonnez-vous à notre balado À vos intérêts! disponible sur toutes les plateformes. Vous pouvez aussi visiter la page Actualités économiques sur ia.ca et nous suivre sur les réseaux sociaux.

À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

Ce balado ne doit pas être copié ou reproduit. Les opinions exprimées dans ce balado reposent sur les conditions actuelles de marché et peuvent changer sans préavis. Elles ne visent nullement à fournir des conseils en matière de placement. Les prévisions données dans ce balado ne sont pas des garanties de rendement. Elles impliquent des risques, des incertitudes et des hypothèses. Bien que ces hypothèses nous paraissent raisonnables, il n’y a aucune assurance qu’elles se confirment.

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2025-05-06 05:05 HAE

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