Pierre : Bienvenue au balado À vos intérêts! de iA Groupe financier. Je m’appelle Pierre Dolbec et je suis en compagnie de mon collègue et stratège en chef Sébastien Mc Mahon. Bonjour Sébastien.
Sébastien : Salut Pierre. Comment ça va?
Pierre : Ça va très bien, merci. Sébastien, lors du dernier épisode, nous avons abordé la guerre commerciale qui s’articule présentement entre les États-Unis et le Canada. Et comme l’histoire est souvent un excellent professeur, nous allons aujourd’hui adopter une perspective historique pour parler des guerres commerciales. D’ailleurs, nous pourrions peut-être commencer la discussion en parlant des justifications qui sont présentées pour se lancer dans une guerre commerciale avec un autre pays.
Sébastien : Oui, tout à fait. Il y a plusieurs raisons dans l’histoire pour lesquelles on a lancé des guerres commerciales. Mais si on se concentre sur la situation actuelle entre les États-Unis et non seulement le Canada, mais le Mexique, l’Europe et la Chine aussi, les États-Unis attaquent un peu tout le monde en ce moment. L’idée, c’est présenté comme étant un moyen de protéger les industries nationales et les travailleurs. L’idée de Donald Trump, c’est de vouloir ramener des emplois aux États-Unis. Par contre, les guerres commerciales, c’est complexe et généralement ça peut déclencher des représailles. On l’a vu avec le Canada qui a imposé des contre-tarifs aux États-Unis. Ça vient perturber les chaînes d’approvisionnement, ça vient remodeler les alliances économiques mondiales. Donc ça a des effets qui sont durables.
Puis on a déjà joué un peu dans ce film-là en 2018, quand Donald Trump avait imposé des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium. À ce moment-là, ça avait marqué un tournant dans la politique commerciale moderne des États-Unis qui prônaient le libre-échange mondial depuis des années. Ça avait surtout aussi exposé la fragilité du système économique mondial. Puis ça, ça a eu des conséquences quand même assez importantes. Entre 2018 et 2021, il y a eu une augmentation globale des tarifs douaniers de 1,4 à 3 % entre ces deux années-là. Donc on a plus que doublé les tarifs. Ce sont quand même des niveaux bas par rapport à ce dont on discute en ce moment. Ça a mené à une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Ça a fait augmenter les coûts pour les entreprises, ça a réduit les investissements, ça a fait des distorsions dans les flux commerciaux mondiaux. Donc il y a quand même beaucoup de leçons à apprendre. Puis, ce que je te propose, c’est qu’au cours des prochaines minutes, on pourrait aller voir des épisodes passés où il y a eu des guerres commerciales, puis quel genre de leçons on peut en tirer.
Pierre : Justement, vu que présentement on vit des tensions commerciales qui refont surface en 2025 – les nombreuses menaces tarifaires de l’administration Trump – la compréhension des parallèles historiques dont tu nous parles est importante non seulement pour anticiper les implications économiques et financières, mais aussi pour reconnaître les schémas d’erreurs politiques qui pourraient être évités. Donc, Sébastien, peux-tu nous parler un peu du commerce mondial dans une perspective historique?
Sébastien : Oui, tout à fait. L’ère moderne de la mondialisation, ça a commencé dans les années 1970 avec l’impulsion des progrès technologiques, la réduction des barrières commerciales et des réformes économiques qui ont été favorables aux marchés. Au cours des cinq décennies suivantes, cette évolution-là a transformé l’économie mondiale, permettant aux pays de se spécialiser dans des domaines où ils disposent d’un avantage comparatif. Donc tout ça, ça a permis d’améliorer la productivité mondiale et de favoriser l’indépendance économique de plusieurs pays. Cette période-là a été marquée par plusieurs étapes importantes. Peut-être la plus importante, c’est en 1995, quand on a créé l’Organisation mondiale du commerce, qui est une organisation qui institutionnalise les règles du commerce mondial. Ça permet de mieux gérer les différends. Mais là, on entend des menaces de Donald Trump qui souhaite retirer l’économie de l’OMC, de l’Organisation mondiale du commerce. Donc, est-ce que c’est un tribunal qui a et aura vraiment un poids en 2025 et après? On peut vraiment se poser la question.
Après ça, en 2001, la Chine a adhéré à l’OMC. Ça a été un moment charnière qui a entraîné une explosion des flux commerciaux mondiaux. Puis les tarifs moyens aux États-Unis ont chuté de façon spectaculaire. On était à environ 30 % au début du XXᵉ siècle; on est tombé à moins de 5 % dans les années 2000. Donc, toutes ces évolutions-là, ça a contribué à stimuler la croissance économique dans le monde entier, à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à développer de manière spectaculaire les chaînes d’approvisionnement mondiales. Cependant, ça a aussi créé de nouvelles vulnérabilités, en particulier pour des régions et des industries qui sont exposées à l’externalisation, à la délocalisation et aux pressions salariales concurrentielles. Les conflits commerciaux des années 2010 et potentiellement des années 2020 qu’on est en train de vivre en ce moment peuvent être considérés comme des réponses politiques à toutes ces perturbations-là.
Pierre : Et on sent une montée du protectionnisme aux États-Unis derrière des slogans visant à redonner sa grandeur passée à l’Amérique, sans trop préciser à quelle époque on fait référence. Quels sont les avantages du commerce qui peuvent contrebalancer de telles intentions?
Sébastien : Bien, il y a des retombées positives : la réduction des coûts pour les consommateurs grâce à une production mondiale efficace. Donc ça coûte moins cher d’acheter plus de biens et services. Le soutien à la concurrence et à l’innovation en forçant les entreprises à améliorer leur productivité. Il y a eu l’industrialisation rapide des pays comme la Corée du Sud, Singapour et la Chine, qui sont devenus des puissances économiques mondiales. Donc, en général, les pays qui ont adopté le commerce international ont connu des améliorations considérables de leur production économique et de leur niveau de vie. Puis ceux qui ont érigé des barrières ont généralement stagné.
Donc ça, ça nous amène au phénomène des accords commerciaux qui sont devenus des piliers de l’intégration économique. Les guerres commerciales font peut-être les manchettes, mais ce sont les accords commerciaux qui ont jeté les bases de la coopération économique. Il y a trois accords majeurs dont on pourrait discuter ici :
- L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis de 1988 : c’est un accord historique qui a mené à une intégration économique nord-américaine plus développée;
- Il y a l’Accord de libre-échange nord-américain, en 1994 : donc on a étendu l’Accord de libre-échange au Mexique, ça a supprimé la plupart des tarifs douaniers et ça a renforcé l’interconnexion des chaînes d’approvisionnement;
- Puis l’ACEUM, donc l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, qui est une modernisation de l’ALENA, qui a été mis en place sous le règne de Donald Trump entre 2016 et 2020. Ça a été signé juste vers la fin de son mandat, en 2020.
Pierre : Et maintenant qu’on a discuté des avantages du commerce, qu’est-ce que le passé nous a démontré sur les risques du protectionnisme?
Sébastien : Bien, malgré l’attrait politique des tarifs douaniers, les expériences passées ont démontré que les torts du protectionnisme sont souvent plus grands que ses bienfaits. Il y a trois épisodes clés qui illustrent cette tendance-là :
- Le premier, ce sont les tarifs de 1828 aux États-Unis. C’est sûr que ça ne s’appelait pas comme ça à ce moment-là, mais ex post, ça a été surnommé « le tarif des abominations » en raison des conséquences économiques importantes que ça a eues pour les États-Unis. Le modèle économique américain, dans ce temps-là, il était fragmenté. Donc, ces tarifs-là ont profité beaucoup au Nord des États-Unis, qui était plus industriel, mais ça a beaucoup nui au Sud, qui était plus agricole et qui dépendait du commerce avec la Grande-Bretagne. Tout ça, ça a mené à la crise de la « nullification » (invalidation) de 1832, puis ça a généré les tensions qui ont éventuellement débouché sur la guerre de Sécession. Donc, les tarifs douaniers, avec cet exemple-là, on voit que ça peut exacerber les divisions internes, puis ça pose un risque du point de vue autant politique qu’ économique.
-Le deuxième exemple, ça serait la loi Smoot-Hawley sur les tarifs américains, qui a été mise en place en 1930, et qui est venue aggraver la crise, qui est devenue la Grande Dépression des années 1930. Cette loi-là est venue augmenter les tarifs sur plus de 20 000 produits. Puis, bien sûr, il y a d’autres pays qui ont adopté des mesures de rétorsion, ce qui a entraîné une baisse de 65 % du commerce mondial, puis c’est venu empirer la dépression. Donc une crise économique à la fin des années 1920, début des années 1930, qui est devenue une grande dépression mondiale qui a duré jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale. Donc on voit que ça peut avoir des impacts qui sont assez forts et puis créer des récessions.
-Puis peut-être le dernier exemple, qui est plus récent : la guerre commerciale de 2018. Monsieur Trump a imposé des tarifs sur 250 milliards de dollars de produits chinois en invoquant le vol de propriété intellectuelle et des pratiques commerciales déloyales. La Chine a riposté en ciblant l’agriculture, l’industrie manufacturière américaine. Et le résultat : les coûts ont augmenté pour tout le monde, les marchés ont été volatils et les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été perturbées.
Donc, quand on regarde ces trois exemples-là, on voit qu'une chose se dessine en filigrane ici : c’est que ça fait beaucoup plus de mal que de bien, même si l’intention, généralement, est d’aider les entreprises locales.
Et peut-être une petite dernière considération, Pierre. L’économie américaine de 2025, ce n’est pas la même économie américaine qu’en 2018. En 2018, l’inflation était à son niveau cible. L’économie américaine tournait en dessous de son potentiel depuis la crise financière de 2008-2009, puis la politique phare de Donald Trump, c’était d’importantes réductions d’impôt, ce qui a éventuellement stimulé l’économie, puis ça a porté fruit. Le déficit du gouvernement fédéral américain par contre, lui, a bondi. Il était à 3,5 %. Il a augmenté beaucoup. Puis le taux d’épargne des ménages était quand même assez élevé à 5,7 %. Donc il y avait quand même une conjoncture économique où il pouvait faire des coupures d’impôt au même moment pour venir absorber les chocs.
Mais en 2025, c’est une situation qui est différente. L’économie américaine est en surchauffe. L’inflation est supérieure à 3 %. L’objectif d’inflation de 2 %, la dernière fois qu’il a été atteint, c’était en 2021. Le secteur manufacturier manque d’élan. Il n’y a aucune réduction d’impôt substantielle qui est prévue. Le déficit avoisine désormais les 8 %. Le taux d’épargne des ménages est faible par rapport aux normes historiques à 3,8 %. Donc, on peut dire que des contre-mesures fiscales ou économiques qui pourraient venir amortir les chocs d’une guerre commerciale, on voit peu d’avenues. Donc ça devient beaucoup plus dangereux.
Pierre : Sébastien, c’était très intéressant d’aborder les guerres commerciales d’un point de vue historique. Quel serait ton mot de la fin avant de conclure le balado?
Sébastien : Bien, je dirais que l’histoire est sans équivoque : le protectionnisme comporte des risques économiques importants. Bien que les tarifs douaniers puissent être considérés comme des mesures défensives, ils se transforment souvent en mesures de rétorsion perturbant le commerce, augmentant les coûts et, en fin de compte, ralentissant la croissance. Et ça, c’est tout le monde qui paie.
Donc, alors que les décideurs politiques réévaluent leur stratégie commerciale, les leçons du passé devraient servir d’avertissement. Dans la quête de puissance économique, les guerres commerciales finissent souvent par affaiblir les économies mêmes qu’elles essaient de protéger.
Pierre : Merci Sébastien, c’est tout pour aujourd’hui. Merci à nos auditeurs et auditrices. On se retrouve dans deux semaines pour un prochain épisode du balado À vos intérêts!
Ashleay : (voix préenregistrée) Vous avez aimé cet épisode et vous aimeriez en apprendre davantage sur l’actualité économique? Abonnez-vous à notre balado À vos intérêts! disponible sur toutes les plateformes. Vous pouvez aussi visiter la page Actualités économiques sur ia.ca et nous suivre sur les réseaux sociaux.
À propos
Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.
Sébastien Mc Mahon
Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuillesCe balado ne doit pas être copié ou reproduit. Les opinions exprimées dans ce balado reposent sur les conditions actuelles de marché et peuvent changer sans préavis. Elles ne visent nullement à fournir des conseils en matière de placement. Les prévisions données dans ce balado ne sont pas des garanties de rendement. Elles impliquent des risques, des incertitudes et des hypothèses. Bien que ces hypothèses nous paraissent raisonnables, il n’y a aucune assurance qu’elles se confirment.