Une danse avec les étoiles de l’investissement

Au firmament des étoiles de l’investissement, Warren Buffet et Jim Simons ont des philosophies d’investissement en apparence opposées, car le premier est un investisseur discrétionnaire et l’autre, un investisseur quantitatif. Qu’elles découlent de l’observation minutieuse d’entreprises ciblées ou de modèles informatiques qui dégagent de grandes tendances, les deux philosophies d’investissement misent néanmoins toutes deux sur l’analyse approfondie de données.

Ashleay : Bienvenue au balado À vos intérêts! Mon nom est Ashleay, et comme à l’habitude, je suis accompagnée de mon collègue Sébastien Mc Mahon. Cette semaine, nous recevons Tej Rai, directeur général, chef de l’allocation d’actifs, pour nous parler de philosophies d’investissement. Alors, bonjour Tej! Bonjour Sébastien!

Tej : Bonjour!

Sébastien : Salut Tej, nous sommes bien contents de t’avoir avec nous aujourd’hui. Tej, tu es basé à Toronto. Tu es plus anglophone que francophone, mais ton français est excellent. Donc, merci de te prêter au jeu aujourd’hui, de faire l’épisode en français avec nous.

Tej : Merci Sébastien et Ashleay pour l’invitation. C’est un plaisir pour moi.

Sébastien : Une chose que les gens ne savent pas , en plus d’être un investisseur extraordinaire, Tej est aussi un super danseur. Donc, plusieurs talents cachés. On dit toujours que c’est un des secrets les mieux gardés de iAGAM, mais maintenant, vous allez pouvoir le découvrir.

Tej : Oui, effectivement, je suis un grand « fan » de tango argentin et de la danse en couple en général.

Ashleay : Et puis, Tej, on part dans le vif du sujet. C’est qui le plus grand investisseur de tous les temps, mis à part toi bien sûr?

Tej : C’est une question difficile, Ashleay, mais c’est une question très intéressante. Mon premier réflexe, c’est de demander quelle est la définition de « le plus grand »? Est-ce que ce sont les rendements annualisés, les actifs sous gestion ou les revenus générés pour les clients? Moi, je ne suis pas sûr qu’il y ait une réponse unique. Mais pour moi personnellement, les deux qui ressortent le plus sont Warren Buffett et Jim Simons. Des deux, Warren Buffett est probablement le plus connu, car il est fréquemment cité dans la presse financière et ses réunions des investisseurs à Omaha sont très suivies. Et ce que je trouve intéressant, c’est que Buffet s’en tient à un style d’investissement unique : l’investissement axé sur la valeur. Il le suit depuis plus de 60 ans. Il analyse chaque investissement en détail en essayant de trouver des entreprises qui ont des éléments fondamentaux solides : des éléments tels que des avantages concurrentiels durables, des équipes de gestion solides, des flux de trésorerie stables, prévisibles. Et lorsqu’il trouve de telles entreprises qui se négocient avec une forte décote sur les marchés, il s’engage dans ces investissements tout en constituant un portefeuille concentré d’actions à détenir sur le long terme. Et cette approche disciplinée a permis aux actionnaires de son entreprise, Berkshire Hathaway, d’obtenir un rendement annualisé de plus de 20 % depuis 1965.

Ashleay  : Oh!

Tej : C’est incroyable selon moi.

Ashleay : Hmm…«

Tej : Et en revanche, les réalisations de Jim Simons en matière d’investissement, bien que moins connues, sont tout aussi légendaires. Mathématicien de formation, monsieur Simons a adopté une approche des marchés financiers radicalement différente de celle de Warren Buffet, en ce sens que, plutôt que d’analyser en profondeur les entreprises individuelles, monsieur Simons et son équipe de « docteurs » ont perfectionné l’art et la science de la construction des modèles statistiques et de la programmation d’ordinateurs afin de repérer rapidement et efficacement des modèles et de tirer profit d’opportunités à travers le monde.

Et bien qu’on ne sache pas grand-chose de ce qu’a fait Renaissance Technologies de M. Simons, on estime que son fonds phare, Medallion Fund, a rapporté 39 % par an aux investisseurs au cours des 35 dernières années. Et c’est après avoir prélevé une commission fixe très importante de 5 % et une autre commission de performance de 44 %. C’est aussi une performance incroyable, selon moi.

Sébastien : Ce sont des rendements qui sont exceptionnels. Et en plus, ces rendements-là de Jim Simons ont tendance à ne pas être corrélés avec les rendements du marché aussi. Donc, ça a des propriétés spectaculaires.

Tej : Oui, effectivement!

Sébastien : Et si ici on a des lecteurs qui nous écoutent – et je sais qu’Ashleay, tu aimes beaucoup lire toi aussi – il y a eu beaucoup de choses qui se sont écrites sur Warren Buffet, bien sûr. Il y a une biographie qui est sortie qui s’appelle Snowball

en français, ça doit être traduit Boule de neige, je suppose, mais on en apprend beaucoup sur sa vie. M. Buffett est encore vivant, donc ce n’est pas la biographie définitive. Puis, il y a aussi mon préféré, ce serait The Essays of Warren Buffett, qui est une espèce de condensé de segments de sa lettre aux actionnaires qui était organisée par thèmes. Donc, je vous recommande fortement de lire ça, c’est très instructif.

Pour Jim Simons, il y a une biographie. Jim Simons est décédé récemment, dans les dernières années, mais il y a une biographie qui était sortie avant sa mort qui s’appelait The Man Who Solved the Market. On apprenait beaucoup de choses là-dessus, sur l’approche, d’où est venue cette idée-là d’investir de façon systématique. Mais bien sûr, les secrets de l’approche, il ne les partage pas nécessairement. C’est très intéressant pour en apprendre beaucoup, mais ne pensez pas que vous allez être capable de reproduire ces rendements-là après avoir lu ces livres-là.

Ashleay : Puis il s’agit en effet d’un travail impressionnant des deux meilleurs joueurs de tous les temps. Et puis, si on lit la presse financière, on entend souvent Buffett décrit comme un investisseur discrétionnaire, alors que Simons était clairement un « quant » ou un investisseur quantitatif. Est-ce que, Tej, tu pourrais décrire ces deux approches plus en détail?

Tej : Oui. Ashleay. Il y a beaucoup en commun entre les deux approches, mais une grande différence est que les gestionnaires discrétionnaires ont tendance à consacrer beaucoup de temps à l’étude d’une poignée d’entreprises qu’ils connaissent bien. Ils examinent précisément les données financières de l’entreprise, ils s’entretiennent avec la direction, analysent les concurrents, les fournisseurs, etc. Et ils suivent généralement une approche d’investissement fondée sur les meilleures idées. Et ils ont tendance à construire des portefeuilles concentrés avec un petit nombre d’actions. Et parce que le portefeuille est concentré, un gestionnaire discrétionnaire obtiendra de bons résultats s’il a raison pour une grande partie de son d’investissement. Pour utiliser une analogie sportive, les gestionnaires discrétionnaires qui réussissent ont un pourcentage au bâton élevé, mais moins de présences au bâton. Mais en revanche, les gestionnaires quantitatifs s’appuient davantage sur les ensembles de données plus importantes, sur l’analyse statistique et sur la puissance informatique pour analyser des milliers, voire des dizaines de milliers de titres en même temps .Le gestionnaire quantitatif typique déploie son capital à travers un large éventail de paris non corrélés. Chacun d’entre eux n’est pas censé rapporter beaucoup d’argent, mais lorsqu’ils sont répétés dans le temps et combinés, ils devraient aboutir à un processus d’investissement très rentable. Donc, pour revenir à notre analogie avec le sport, les gestionnaires quantitatifs cherchent à maximiser leur nombre de présences au marbre plutôt que le pourcentage au bâton et cherchent à ajouter de la valeur grâce à la puissance de la diversification.

Sébastien : Ce sont des points très importants que tu soulèves ici. Et même là, il y a encore beaucoup de variances dans ce qu’on observe historiquement. Quand on regarde les meilleurs investisseurs de tous les temps, comme tu le dis, Jim Simons, dans la biographie dont je parlais tantôt, The Man Who Solved the Market, il a écrit dedans que précisément, le fonds avait raison dans ses investissements 50,75 % du temps. Donc c’est juste un petit peu plus qu’un pile ou face. Par contre, ils disent que quand il avait raison, il avait beaucoup raison.

Ashleay : Hmm…

Sébastien : Donc, l’idée c’est que quand on se rend compte qu’on a tort, vite on coupe la position. Quand on a raison, on rajoute du poids là-dessus. Et c’est un peu la même chose que ce que les investisseurs discrétionnaires font. Ici, on parle de Warren Buffett, mais il y a d’autres gens comme Peter Lynch, des gestionnaires d’actions qui sont légendaires. Il y en a certains là-dedans même qui avouaient qu’ils avaient raison moins de 50 % du temps, mais c’est juste que c’est ce que tu fais une fois que la position est dans le portefeuille. Si tu te rends compte que tu as eu tort, tu t’assures qu’il n’y a aucune position que tu as mise en place qui va venir couler ta performance. Et quand tu as raison, même généralement, ces gestionnaires-là ont tendance à rajouter par-dessus des idées qui ont eu raison, qui font bien. Donc, c’est comme ça qu’on investit. C’est beaucoup de la psychologie appliquée, l’investissement discrétionnaire.

Ashleay : Puis justement l’investissement piloté par les données. Peux-tu nous en dire plus?

Tej : Oui. L’investissement piloté par les données consiste à analyser toutes les données disponibles et pertinentes avant de procéder à un investissement. Cela semble évident, mais si nous pensons à la plupart des investisseurs professionnels, ils font preuve de diligence raisonnable et effectuent des recherches avant d’allouer des capitaux. Et parce que la diligence raisonnable et la recherche impliquent nécessairement une certaine forme de données, une certaine forme d’analyse, ils sont par définition des investisseurs guidés par les données.

Donc, la seule chose qui diffère d’un gestionnaire à l’autre est le type de données auxquelles ils ont accès, la façon dont ils les transforment en informations et la manière dont ces informations sont utilisées pour investir.

Pour en revenir à notre paradigme discrétionnaire et quantitatif, vous noterez que les deux philosophies exigent des recherches intensives et des processus disciplinés. Les gestionnaires de portefeuilles discrétionnaires se penchent sur les données financières de l’entreprise, s’entretiennent avec la direction, analysent les concurrents, les fournisseurs, etc. Et bien qu’une grande partie de ce travail implique des données non numériques (des choses comme des conversations, des graphiques, des descriptions textuelles), il s’agit néanmoins de données et d’information. Et c’est en grande partie grâce à ce type d’analyse qu’une personne comme Warren Buffett a connu un immense succès. L’approche quantitative s’est appuyée plus fortement sur les données numériques à grande échelle. Mais avec l’avènement de l’intelligence artificielle (des choses comme le traitement du langage naturel, les grands modèles de langage, même l’IA générative), nous pouvons accéder aux mêmes types de données numériques qui étaient autrefois réservées aux gestionnaires de portefeuilles discrétionnaires.

En fin de compte, dans le monde moderne de la gestion des placements, pour moi, il s’agit moins de savoir si vous vous appelez gestionnaire discrétionnaire ou quantitatif, ou quelque part au milieu, que de savoir si vous extrayez vraiment toutes les informations possibles des données que vous avez à votre disposition. C’est le plus important pour moi.

Sébastien : Et c’est un point très important. Quand on construisait l’équipe d’allocation d’actifs au cours des dernières années, la première décision importante c’est : « Qui est-ce qu’on ajoute? Quel genre de talent ajoute-t-on à l’équipe? » Mais la décision qui vient après, c’est : « Quel genre de données est-ce qu’on peut se procurer? » Il y a des données et des historiques très longs qu’on peut utiliser pour se guider pour nos décisions d’investissement aujourd’hui, parce que la nature humaine est constante dans le temps. Ce qui s’est passé dans les années 1800 peut quand même guider encore nos décisions aujourd’hui. Puis des données alternatives, des choses qu’idéalement les autres investisseurs ne regardent pas, comment est-ce qu’on peut intégrer ça dans nos décisions? Donc, la clé : les données, c’est devenu vraiment des ressources essentielles à l’investissement.

Ashleay : Puis compte tenu de ce qu’on vient de dire, ça ne serait pas logique de combiner les deux styles en un mélange parfait? Et si oui, comment cette combinaison-là fonctionnerait-elle au sein de l’équipe d’allocation d’actifs de l’iAGMA?

Tej : Tout à fait, Ashleay. C’est en fait ce que nous faisons actuellement. Nous utilisons un mélange optimisé de jugements d’experts et d’analyses basées sur les données pour prendre nos décisions d’investissement. En d’autres mots, les gestionnaires de portefeuilles – nous-mêmes – utilisons les modèles quantitatifs comme un élément intégral, une composante clé des décisions d’investissement globales que nous prenons pour le compte de nos clients.

Et comme c’est nous qui construisons maintenant ces modèles, nous pouvons nous assurer qu’ils sont conçus de manière appropriée pour nos besoins spécifiques et optimisés pour les types de données que nous estimons les plus utiles dans le monde de la répartition d’actifs.

De cette manière, nous utilisons de façon optimale les pouvoirs des données et de la machine, tout en gardant nos processus d’investissement humains et nos portefeuilles explicables, faciles à comprendre et fermement ancrés dans la théorie financière et macroéconomique. C’est un sujet qui nous passionne et c’est une philosophie d’investissement dans laquelle nous continuons à investir au sein de l’équipe d’allocation d’actifs de iAGMA.

Ashleay : C’est ce qui conclut l’épisode de cette semaine. Merci d’être venus nous éclairer sur les philosophies de l’investissement, Tej et Sébastien.

Tej : Merci beaucoup. C’est un grand plaisir pour moi d’être là.

Sébastien : Merci Tej d’être venu nous rencontrer aujourd’hui. On a appris beaucoup. J’espère que nos auditeurs aussi vont avoir apprécié.

Ashleay : En effet, alors merci aussi à nos auditeurs, justement, et à nos auditrices, et on se reparle la semaine.

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À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon et Tej Rai

Ce balado ne doit pas être copié ou reproduit. Les opinions exprimées dans ce balado reposent sur les conditions actuelles de marché et peuvent changer sans préavis. Elles ne visent nullement à fournir des conseils en matière de placement. Les prévisions données dans ce balado ne sont pas des garanties de rendement. Elles impliquent des risques, des incertitudes et des hypothèses. Bien que ces hypothèses nous paraissent raisonnables, il n’y a aucune assurance qu’elles se confirment.

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2024-11-20 11:51 HNE
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