L’impact des élections américaines sur les marchés

Bien que l’hypothèse d’un gouvernement divisé au lendemain du 5 novembre soit la plus probable, un raz de marée, où démocrates ou républicains rafleraient à la fois la présidence, le Sénat et la Chambre des représentants, n’est pas exclu. Nos experts dressent les stratégies d’investissement pour réagir à ces différentes possibilités, qui engendreraient des mesures économiques aux impacts variés.

Sébastien : Bonjour et bienvenue au balado À vos intérêts! Mon nom est Sébastien Mc Mahon et, en l'absence de notre amie Ashleay, j'animerai seul l'épisode de cette semaine. Mais je ne suis pas vraiment seul parce que je suis avec mon ami et collègue Alex Bellefleur, vice-président sénior, chef de la recherche dans l'équipe d'allocation d'actifs. Ensemble, on va parler de l'impact qu'auront les élections américaines de novembre sur les marchés. Salut Alex.

Alex : Salut Sébastien. Merci de m'avoir invité, ça me fait plaisir d'être là.

Sébastien : C'est un plaisir de t'avoir. On parle beaucoup d'économie et on parle beaucoup d'élections ensemble. Bien sûr, on travaille dans la même équipe, on gère des portefeuilles ensemble. Et puis pourquoi est-ce qu'on parle autant de politique et des élections à venir? Bien, il y a plusieurs raisons. Est-ce que tu pourrais peut-être nous expliquer un petit peu pourquoi ça peut avoir autant d'importance sur les marchés, ce qui s'en vient au début novembre avec l'élection américaine?

Alex : Excellente question, Sébastien. Au cours des dernières années, une tendance qu'on a vue dans l'économie américaine et également dans les marchés mondiaux, c'est que la politique fiscale a joué un rôle de plus en plus grand dans l'économie. Je te donne un exemple. Sous le président Biden, quand il a commencé à y avoir vraiment une compétition économique, mais également géopolitique avec la Chine, la façon dont le gouvernement américain a réagi à ça a été d’accorder toutes sortes de subventions industrielles dans des industries qui étaient considérées comme stratégiques. Il y a eu l'Inflation Reduction Act où on a vu le gouvernement américain intervenir massivement dans l'économie pour subventionner des secteurs stratégiques, mais également imposer des restrictions commerciales à la Chine. Si on recule d'un autre président, qui était le président Trump à l'époque, on avait vu deux choses : des restrictions commerciales massives pour la Chine (donc, Trump avait mis en place des tarifs pour vraiment restreindre les importations en provenance de la Chine) et, en matière de politique fiscale, des baisses massives d'impôts pour les particuliers et les entreprises qui ont vraiment fait augmenter la taille du déficit américain dans un contexte d'expansion économique. Ce n'était pas quelque chose qu'on avait vu vraiment dans le passé. Donc, ce qu'on est en train de voir au niveau de la politique américaine, c'est une expansion du rôle du gouvernement dans l'économie. Et ça, ça peut avoir un impact significatif sur les marchés. Dans le cas qui nous intéresse, c'est-à-dire l'élection présidentielle de 2024, on a beaucoup de différences présentement de politiques entre les candidats. Par exemple, au niveau de la réglementation, au niveau des impôts, on a un candidat républicain, Trump, qui veut moins de réglementation, qui veut baisser les impôts des entreprises, surtout. Au niveau de la candidate démocrate Kamala Harris, on a vraiment des politiques publiques qui sont un petit peu plus réglementaires, où on voudrait augmenter la réglementation, notamment en matière d'environnement, et peut-être augmenter les impôts des entreprises. Donc, il y a d'assez grandes différences de ce côté-là, mais il y a également beaucoup de similarités. Si on regarde, par exemple, la trajectoire des déficits fiscaux américains, il n'y a présentement aucun candidat qui parle de réduire la taille du déficit. Si on parle de protectionnisme et de commerce international, je pense que les deux candidats sont relativement d'accord de ce côté-là, soit qu'il faut soutenir les industries américaines, les protéger de la Chine, etc. pour que les États-Unis puissent gagner la compétition avec ce pays. Donc, si on considère les quatre prochaines années, soit la durée du mandat du prochain président américain ou de la prochaine présidente américaine, on a un environnement qui est potentiellement plus inflationniste que dans le passé. On a vu pendant la COVID qu'il y a eu un choc d'inflation qui est apparu. Donc, dans ce contexte-là, les différences de politiques publiques en matière d'économie et en matière fiscale, si on veut, pourraient avoir un très grand impact sur les marchés, mais surtout sur le marché obligataire qui regarde les élections avec plus de nervosité que dans le passé. Donc, à mon avis, l'élection américaine va avoir un très grand impact sur les marchés.

Sébastien : Tu parles aussi de deux facteurs importants : la croissance du PIB, donc la croissance économique, et puis l'impact qu'on peut voir sur l'inflation. Toi et moi, on sait que les facteurs sous-jacents aux rendements des marchés, que ce soit les actions, les obligations, même les comportements des devises d'un pays à l'autre, c'est beaucoup lié au profil de croissance et au profil inflationniste. Donc, que ce soit un candidat ou l'autre qui gagne, on pourrait voir des mouvements différents dans les classes d'actifs. Notre travail est donc un peu d'anticiper ces choses-là, puis de voir si on peut se positionner à l'avance.

Alex : Absolument. Puis c'est pour ça que c'est important de comprendre le programme économique des deux candidats. Comme je le disais, il y a beaucoup de similarités au niveau des déficits et de la politique commerciale, mais il y a d’assez grosses différences au niveau de la taxation et de l'imposition des entreprises.

Sébastien : On a parlé beaucoup de géopolitique dans le passé, on en parle beaucoup au quotidien dans notre travail, mais est-ce que tu pourrais peut-être nous expliquer les impacts géopolitiques qui pourraient découler de cette élection américaine?

Alex : Oui, certainement. Je te dirais que l'impact géopolitique le plus important à mon avis dans les prochaines années, ou disons le sujet géopolitique qui sera le plus important dans les prochaines années, c'est celui de la compétition entre la Chine (et tout le bloc qui se forme autour de la Chine) et les États-Unis (et tout le bloc des pays alliés aux États-Unis). C'est vraiment ça qui va, à mon avis, définir l'économie internationale au cours des prochaines années. Dans la première administration Trump, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, beaucoup de tarifs douaniers avaient été mis en place lors d'une espèce de guerre commerciale contre la Chine qui avait été provoquée. On se souvient que Trump avait dit que les guerres commerciales étaient bonnes et qu'elles étaient faciles à gagner. Puis, en réponse à ce commentaire-là, il avait mis en place toutes sortes de tarifs douaniers sur les importations chinoises. Ce qui est intéressant, c'est que quand Joe Biden est entré au pouvoir après la dernière élection, Biden n’a pas retiré les tarifs envers la Chine. Biden a grosso modo maintenu la même politique économique envers la Chine parce que justement, cette compétition-là entre les États-Unis, qui sont la grande puissance bien établie, puis la Chine, qui est la puissance montante, si on veut, à son avis, il trouvait que l'approche de Trump était la bonne approche à maintenir. Il ne l'a jamais dit comme ça, mais de facto, c'est ce qu'il a fait. Présentement, on voit que les investisseurs ont un peu peur d'investir en Chine en raison justement de l'incertitude qui découle des résultats de l'élection. Donc, ce qui va être très intéressant de voir au niveau de la géopolitique, c'est comment le prochain président ou la prochaine présidente va gérer la relation avec la Chine. Est-ce qu'on va y aller de manière agressive avec d'autres tarifs douaniers? Ça, c'est l'approche Trump, un peu. Ce qu'il semble dire en campagne électorale, c'est qu'il veut imposer encore plus de tarifs douaniers à la Chine. Ou est-ce qu'on va avoir une approche un peu plus conciliante, où on va essayer d'avoir un accord commercial avec la Chine? Ça, c'est au niveau commercial. Au niveau militaire, il y a toute la question de Taïwan également. La Chine n'a jamais caché son ambition de réunifier Taïwan avec la République populaire de Chine. Selon elle, Taïwan fait partie intégrante du pays, et les États-Unis ont toujours cultivé une espèce d'ambiguïté stratégique à savoir s’ils défendraient [ou non] Taïwan contre une agression chinoise. Dans les dernières années, je dirais que le conflit qui a défini un peu la géopolitique mondiale, ça a été la guerre russo-ukrainienne. De ce côté-là, on a deux approches relativement différentes entre Harris et Trump. Harris dit qu'elle voudrait continuer à financer l'effort de guerre ukrainien pour se défendre contre l'agression russe. Trump, lui, a l'air de vouloir conclure un accord de paix qui serait très défavorable à l'Ukraine, puis plus favorable à la Russie. La question maintenant – je reviens à Taïwan et à la Chine – est la suivante : « Si Trump rentre au pouvoir et que la Russie « gagne la guerre » en Ukraine, est-ce que ça donne une indication à la Chine que les États-Unis seraient moins disposés à défendre Taïwan si la Chine l’envahissait? » Les implications géopolitiques sont donc assez importantes de ce côté-là, surtout au niveau de Taïwan et de la Chine. Je terminerais en disant que l'impact macroéconomique d'une invasion de Taïwan par la Chine serait énorme, parce que Taïwan est l’un des plus grands producteurs de semi-conducteurs dans le monde. Et ça, c'est un produit qui va dans carrément tous les produits électroniques, que ce soit les voitures, les ordinateurs, les téléphones portables, etc. Donc, ça aurait un très grand impact. Donc, ce que je vais vraiment regarder, c'est comment les candidats présentent leurs approches en matière de relations avec la Chine. Est-ce qu'ils s'engagent à défendre Taïwan dans le cas d'une agression chinoise ou est-ce qu’ils voudraient plutôt avoir une approche non interventionniste s'il arrivait quelque chose comme ça? Ce qui est aussi important de regarder, c'est ce que la Chine nous dit : est-ce qu’elle temporise avec Taïwan ou est-ce que la Chine adopte une approche de plus en plus agressive? Ce sont tous des facteurs qui vont être très importants pour les marchés dans les prochaines années.

Sébastien : On a parlé beaucoup de l'élection présidentielle, mais il n'y a pas que le président qui va être élu à la prochaine élection. On va savoir s'il y a une majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. Le système américain, on en a déjà parlé par le passé, est un peu différent du nôtre. La balance du pouvoir, ça va probablement déterminer beaucoup de choses. Si on a un raz-de-marée républicain ou un raz-de-marée démocrate, on sait qu'on a des programmes politiques assez différents qui s'en viennent. Si on a un gouvernement qui est plutôt divisé avec un président, un Sénat et une Chambre des représentants qui ne sont pas tous nécessairement de la même couleur, rouge ou bleu, ça va nous donner probablement un petit peu plus d'immobilisme. Les marchés boursier et obligataire aussi peuvent réagir de façon assez différente à chacune de ces possibilités-là. Donc, est-ce que tu pourrais nous parler des scénarios qu'on entrevoit pour le moment? À quoi les marchés semblent-ils s'attendre? Et puis comment nous positionnons-nous comme investisseurs dans tout ça?

Alex : Je pense que tu soulèves un point très intéressant, Sébastien. La balance du pouvoir au Congrès est probablement plus importante que la simple question de l’identité du président parce que c'est vraiment avec la balance du pouvoir au Congrès qu'un président peut vraiment aller de l'avant avec son programme économique. Si on a un congrès divisé, c'est beaucoup plus difficile de passer des politiques fiscales agressives que si on a un congrès unifié du même côté que le président. Présentement, si on regarde les probabilités que le marché alloue à différents scénarios, celui du raz-de-marée ou du balayage républicain est d'environ 30 %, puis le scénario du balayage démocrate est d'environ 20 %. Donc, on a à peu près 50 % de chances d'un balayage d'un côté ou d'un autre et 50 % de chances d'un congrès divisé. Dans le cas d'un congrès divisé, je pense que ça va tempérer un peu les ardeurs fiscales du président ou de la présidente, mais dans le cas d'un congrès unifié, on aura dans ce cas des politiques publiques plus agressives. Donc, dans le cas des républicains, on aura des baisses d'impôts, de la déréglementation, puis dans le cas des démocrates, on aura probablement des hausses d'impôts pour les entreprises. Les impacts économiques et les impacts sur le marché sont assez différents. Je te dirais que dans le cas d'un raz-de-marée républicain, probablement le marché va aimer les baisses d'impôts pour les entreprises. C'est ce qu'on avait vu en 2017 quand Trump a fait passer ces baisses d'impôts. On avait vu une grosse reprise boursière. En fait, le marché boursier avait apprécié. Par contre, dans le cas d'un raz-de-marée républicain, le risque est au niveau du marché obligataire parce que si on voit une grosse expansion du déficit américain, ça veut dire plus d'obligations du Trésor émises sur le marché. Et si on a plus d'obligations du Trésor, il se peut que le marché ait de la difficulté à absorber ces émissions et qu'on voie des taux d'intérêt un petit peu plus élevés. Donc ça, c'est vraiment quelque chose à regarder de ce côté-là. La façon dont on se positionne de ce côté-là, écoute, le résultat est encore très incertain. Si tu regardes les sondages nationaux présentement, ils sont en faveur de Kamala Harris, mais comme on le sait, les États-Unis n’élisent pas le président au vote populaire, mais bien par le collège électoral. Et ce dernier favorise Trump un peu plus. Donc, il est très difficile d'avoir beaucoup de conviction quant au résultat. Notre approche, pour l'instant, c'est de ne pas trop se fier à un scénario plus qu’à un autre. C'est de construire un portefeuille qui performe bien dans une variété d'environnements économiques pour éviter d'être trop dépendants du résultat de l'élection. Par contre, si dans les prochaines semaines – on enregistre ça à la fin du mois de septembre – on voit une tendance se former, évidemment, on reste agiles et prêts à modifier notre positionnement. Donc, dans le cas d'une tendance qui deviendrait plus favorable à Trump, je pense que les positions qu'on prendrait seraient des positions plus inflationnistes, c'est-à-dire acheter des matières premières et des titres de secteurs boursiers plus cycliques et sous-pondérer les obligations dans l'optique justement d'une émission de dette plus grande. Dans le cas d'une tendance un petit peu plus favorable aux démocrates, on pourrait favoriser les obligations si on voyait se profiler des hausses d'impositions aux entreprises parce qu’il est probable que le marché boursier aimerait un petit peu moins ça. Mais, par contre, pour en arriver là, il faudrait que les démocrates contrôlent le Congrès, ce qui est relativement peu probable.

Sébastien : Donc encore beaucoup d'incertitudes d'ici là. Il reste encore environ un mois avant l'élection, ce qui est une éternité en politique. Actuellement, la tendance semble favoriser madame Harris, mais comme on l'a vu au cours de l'été, il pourrait y avoir un revirement imprévisible aussi. Merci Alex pour ces précisions. Je pense que l’élection sera l'élément déterminant pour l'actualité économique et pour les marchés à l’automne. Nous, pour le moment, nous restons positionnés d'une façon à ne pas être trop surpris d'un côté ni de l'autre dépendamment des résultats. Puis si jamais on a des convictions qui changent, bien, vous pouvez toujours vous fier à nous. Nous vous tiendrons informés avec nos différentes publications chez iA Gestion mondiale d'actifs. Merci Alex de t'être prêté au jeu. C'est ainsi que se conclut l'épisode d'aujourd'hui. Un gros merci également à nos auditeurs et à nos auditrices. N'hésitez pas à nous écrire si vous avez des questions. En attendant, je vous dis à la semaine prochaine!

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À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon et Alex Bellefleur

Ce balado ne doit pas être copié ou reproduit. Les opinions exprimées dans ce balado reposent sur les conditions actuelles de marché et peuvent changer sans préavis. Elles ne visent nullement à fournir des conseils en matière de placement. Les prévisions données dans ce balado ne sont pas des garanties de rendement. Elles impliquent des risques, des incertitudes et des hypothèses. Bien que ces hypothèses nous paraissent raisonnables, il n’y a aucune assurance qu’elles se confirment.

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2024-10-17 12:33 HAE
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