Sébastien : Bienvenue au balado À vos intérêts! Mon nom est Sébastien McMahon, je suis stratège en chef chez iA Groupe financier, et cette semaine, on fait la deuxième partie de l’analyse de l’élection américaine du 5 novembre avec, encore une fois, mon collègue Alex Bellefleur, vice-président sénior, chef de la recherche, au sein de l’équipe d’allocation d’actifs. Salut Alex!
Alex : Salut Sébastien! Nous sommes de retour dans un nouvel environnement politique et économique.
Sébastien : Donc le premier épisode, on l’a enregistré au début du mois d’octobre. À ce moment-là, on se posait plusieurs questions. Aujourd’hui, on a plusieurs réponses. On n’a pas toutes les réponses, mais quand même, on va pouvoir faire un tour sommaire. Donc premièrement, si on entre dans le vif du sujet, Alex, je te poserais la question suivante : « Quelles ont été, selon toi, les plus grandes surprises le soir de l’élection, si on parle autant de l’économie que des marchés financiers? »
Alex : Pour moi, la plus grosse surprise, ça a été l’heure à laquelle je me suis couché le soir de l’élection. Je pensais me coucher à 4 heures du matin. Finalement, je me suis couché à 23 h tellement la marge de la victoire avait été favorable à Trump et tellement il y avait un balayage républicain partout à travers le pays. Si on regarde dans les semaines qui avaient précédé l’élection, et même nous, dans notre conversation du mois d’octobre, Sébastien, quand on parlait des probabilités relatives de Kamala Harris puis de Donald Trump de remporter l’élection, on penchait peut-être un petit peu du côté de Trump, mais c’était relativement 50 sur 50 en général, à notre avis. Puis je pense que c’était le cas pour la plupart des participants dans les marchés financiers. Le soir même de l’élection, c’est devenu évident très rapidement que ce n’était pas du tout ça qui était en train de se produire. Carrément, chaque région, chaque État, chaque comté des États-Unis avait vraiment une vague républicaine, penchait du côté républicain par rapport à l’élection présidentielle de 2020 qui avait vu Joe Biden se faire élire. Donc, vraiment, la marge de la victoire puis le balayage républicain qui s’en est ensuit a été, je dirais, la plus grosse surprise de l’élection. Ensuite, ça, évidemment, ça s’est répercuté dans les marchés. Un peu avant l’élection, dans le mois qui avait précédé l’élection, il y avait déjà un peu de ce mouvement-là qui commençait à être intégré dans les prix des actifs, mais je dirais que ça s’est accéléré le soir même et le lendemain de l’élection où il y a eu des performances sectorielles très différentes entre les secteurs qui bénéficient de l’agenda Trump et de l’agenda républicain et ceux qui en souffrent. Un bon exemple, ce sont les banques aux États-Unis. Trump veut déréglementer le secteur financier. Ça, c’était vu comme étant positif pour les bénéfices des banques. Donc, clairement, c’est un secteur qui en a bénéficié. Le dollar américain a augmenté aussi à cause de ce que le marché a commencé à entrevoir au niveau du commerce international.
Sébastien : Oui, tu as raison, la vigueur de cette victoire-là était assez impressionnante. Tu sais, c’est seulement la deuxième fois depuis 1988 qu’un candidat républicain gagne le vote populaire. Il y avait George W. Bush qui avait réussi en 2004 avec une espèce de vague de sympathie qui avait suivi le 11 septembre 2001. Mais généralement, c’est difficile à atteindre. Donald Trump, l’a eu, mais il n’avait pas réussi en 2016. On se demandait, tu sais, la dernière fois, quand on parlait en octobre, on disait que ça serait probablement un gouvernement divisé. C’est une grande partie de la conversation qu’on avait. Ça n’a pas été ça du tout. Donald Trump a gagné tous les états clés, le Sénat est du côté républicain, la Chambre des représentants aussi est du côté républicain. Donc ça lui donne une marge de manœuvre très forte pour pouvoir réaliser son plan ou ses ambitions. Puis d’ailleurs, pour réaliser ce plan-là, il y a plusieurs nominations qu’on attendait. Puis là, on est rendu le 15 novembre. On en a plusieurs de ces nominations clés. Qu’est-ce que tu penses de ce qu’on a entendu pour le moment?
Alex : Écoute, on a vu cette semaine les nominations sortir. Là, comme tu dis, on est le 15 novembre. On est toujours en attente de la nomination pour le secrétaire au Trésor, qui est le poste le plus important au niveau de la politique économique. Mais si on regarde dans l’ensemble, les gens qui ont été nommés au cabinet de Donald Trump, c’est un cabinet très MAGA dans l’ensemble – Make America Great Again. On est vraiment allé chercher des loyalistes de Donald Trump. Quand Trump avait eu sa traversée du désert après 2022, après les élections de mi-mandat où les républicains avaient moins bien performé et surtout les candidats qui soutenaient Trump avaient moins bien performé que ce à quoi on s’attendait, Trump avait eu un petit purgatoire, une traversée du désert. Puis il y a des gens qui l’avaient soutenu, qui s’étaient accrochés à lui un peu. Puis je dirais que la plupart de son cabinet a été nommé de gens qui étaient justement des proches ou des loyalistes de Donald Trump à cette époque-là. Par exemple, si on regarde celui qui a été nommé pour diriger le département de la Justice, à être l’Attorney General aux États-Unis, Matt Gaetz, c’est peut-être le gars le plus MAGA qui existe, même jusqu’à un certain point où certaines gens se demandent s’il va réussir à être confirmé au Sénat parce que c’est un personnage qui est controversé, qui a quelques squelettes dans son placard également. Mais en gros, Trump a nommé des loyalistes, ce qui signale que Trump va être très affirmé, mais surtout très décomplexé. On va vraiment avoir droit à un programme Trump décomplexé. Ça ne sera pas du tout comme en 2016 où il y avait des gens dans le cabinet qui venaient temporiser un peu. Il y avait des gens qui venaient plus de l’establishment républicain. Dans le cas qui nous intéresse ici, en 2024, ce n’est vraiment pas le cas. On a des loyalistes. Donc je pense que Trump va profiter du fait qu’il dispose de beaucoup de bénéfice politique présentement. Il contrôle le Sénat, il contrôle la Chambre des représentants, donc je m’attends à ce que dans les deux prochaines années, il travaille très fort pour pousser son programme très rapidement. Une autre chose que je suggérerais, c’est qu’il y a eu des nominations assez hostiles à la Chine dans son cabinet. Si on regarde le secrétaire d’État Marco Rubio et le conseiller de sécurité nationale Mike Waltz, ce sont deux individus qui ont été assez agressifs ou assez, disons, un peu plus hostiles à la Chine dans le passé. Ils voient la Chine comme une menace existentielle aux États-Unis. Donc, qu’est-ce que ça indique? Ça indique peut-être une politique un petit peu plus forte envers la Chine, c’est-à-dire des tarifs douaniers sur les produits chinois, mais aussi un pivot de la politique étrangère américaine vers l’Asie Pacifique pour contenir la Chine. Et un dernier point que je ferais (ça a été une surprise un peu) : les nominations de politique étrangère sont un peu moins hostiles à l’Ukraine que ce à quoi on s’attendait. Donc Trump a dit qu’il voulait mettre fin à la guerre en Ukraine dès son premier jour à la Maison-Blanche. En nommant Marco Rubio et Mike Waltz, ce sont deux politiciens américains qui ont été plus pro-Ukraine, en fait, dans le passé et qui ont plutôt soutenu la défense de l’Ukraine. Donc, ça vient peut-être remettre en question l’idée selon laquelle Trump allait donner à la Russie une victoire très rapide en Ukraine. Donc ça, c’est une surprise par rapport à ce à quoi on s’attendait.
Sébastien : Ouais. Puis si on pense purement en termes économiques, donc, les grands axes des politiques de Donald Trump, il y a : l’expansion du déficit, on sait qu'elles sont expansionnistes la plupart des mesures que monsieur Trump a proposées; les tarifs douaniers, donc l’avenir du commerce international, point d’interrogation là; puis aussi, la déréglementation à l’interne. Est-ce que tu pourrais faire le tour de ces trois sujets-là pour nous résumer un peu ce qui se trame dans le moment?
Alex : Je pense que tu viens de cerner les trois gros thèmes économiques de la présidence Trump. Le premier, comme tu dis, c’est l’expansion du déficit, puis la mise en œuvre de l’agenda fiscal Trump. Donc les baisses d’impôts corporatives et personnelles qui ont été mises en œuvre par Trump en 2017 doivent être renouvelées en 2025. Trump a dit que non seulement il voulait les renouveler, mais il voulait en étendre l’étendue, c’est-à-dire les augmenter. Le problème avec ça, c’est que, évidemment, ça augmente la taille du déficit budgétaire américain, qui est déjà très élevé pour une période d’expansion économique. On est à 6 % du PIB. Avec l’économie qu’on a aux États-Unis présentement, qui roule somme toute assez bien, on ne devrait pas avoir un déficit de 6 % du PIB. On devrait rouler peut-être à 2 % ou 1 % du PIB. Alors, si on se met à réduire les revenus du gouvernement avec des baisses d’impôts, sur une base plus structurelle, ça crée certains problèmes. Donc ce qui va être intéressant, c’est de voir comment l’agenda fiscal de Trump va se frapper de front à la capacité du marché obligataire à absorber des émissions d’obligations du Trésor aux États-Unis. Est-ce que ça va créer des frictions? Est-ce que ça va faire augmenter les taux d’intérêt? Donc ça, ça va être un peu une contrainte, je pense, au programme de Trump. Donc, ça va être à suivre. Le deuxième point serait, comme tu as mentionné, par rapport au commerce international, les tarifs douaniers. Donc Trump veut mettre des tarifs douaniers sur les produits en provenance de Chine, sur les automobiles en provenance d’Europe. Il veut relancer l’industrie américaine avec ces tarifs-là. Certes, mais ce qu’on a vu pendant l’élection américaine, c’est que l’inflation est extrêmement impopulaire. Je pense que s’il y a une raison pour laquelle Kamala Harris a perdu l’élection, c’est qu’elle était associée à la hausse du niveau des prix que les Américains ont subi durant la présidence de Joe Biden. Donc, les tarifs douaniers ne sont pas un facteur qui crée de l’inflation sur une base continue, mais c’est un choc qui fait augmenter le niveau du prix du moment où le tarif est mis en place. Ça se peut que ça soit très impopulaire avec les consommateurs américains. Comment ça va affecter le taux d’approbation de Donald Trump? Est-ce qu’il va vraiment pouvoir aller aussi loin qu’il veut aller avec ça? C’est une autre question. L’autre question également, c’est la réponse des partenaires commerciaux américains. Si on met des tarifs douaniers très élevés sur les voitures en provenance d’Europe ou les biens en provenance de Chine, est-ce qu’on pense que l’Europe et la Chine vont tout simplement s’asseoir et laisser les Américains leur faire ça de manière unilatérale? Probablement pas. Donc ça, ça pourrait être un début de guerre commerciale entre les États-Unis et leurs partenaires. Puis finalement, tu l’as mentionné, Sébastien : la déréglementation. Donc, Trump veut déréglementer plusieurs aspects de l’économie américaine : le secteur financier, la réglementation environnementale… Il pense que la réglementation est un frein à la croissance. Puis peut-être que c’est vrai dans une certaine mesure. Par contre, quel est l’impact de la déréglementation? Est-ce que ça a un impact peut-être un petit peu plus déflationniste que les tarifs qui, eux, sont peut-être un petit peu plus inflationnistes? Est-ce que ça a vraiment un gros impact sur la croissance et sur le marché boursier? Ce sont des questions auxquelles on va avoir les réponses dans l’année qui suit.
Sébastien : Donc ce sont des éléments assez structurants du point de vue économique, tout ça. Puis en anticipation de tout ça, vous savez, ceux qui nous écoutent aujourd’hui, les marchés ont tendance à bouger sur l’anticipation. Donc les marchés avaient déjà bougé avant ça. Donc nous, on avait déjà commencé à se positionner un petit peu. Tu te rappelles, on avait discuté que, probablement, les marchés intégraient plus de chances d’une victoire de Donald Trump que de Kamala Harris. Donc, on avait mis des positions en place pour se protéger, peu importe le résultat de l’élection, mais on s’attendait à ce que ça soit peut-être une plus grande surprise s’il y avait des gains supplémentaires chez les démocrates plutôt que les républicains. Donc ça faisait des positions assez intéressantes pour en discuter. Mais j’aimerais ça que tu nous parles de, maintenant que l’élection est derrière nous, maintenant qu’on a les résultats, comment est-ce que les investisseurs devraient se positionner à travers tout ça?
Alex : Le plus grand danger, je pense, pour les investisseurs, non seulement pour les investisseurs, pour tout le monde en général, mais surtout pour les investisseurs, c’est de croire qu’on a vraiment bien compris Donald Trump. Que l’on comprend le logiciel Donald Trump, comment il fonctionne. Je pense que Trump est très imprévisible en général, puis pour lui, dans sa vision du monde, tout est transactionnel. Il y a quand même écrit un livre qui s’appelle The Art of the Deal. Il se voit comme étant un deal maker en général. Trump est peut-être plus un homme de transactions qu’un homme de convictions, en général. Ses convictions peuvent changer dans le temps. Donc, je pense que si les investisseurs construisent leur portefeuille en se disant « Je vais acheter telle compagnie, telle classe d’actifs parce que je pense que Trump voit le monde de telle manière », c’est une approche qui peut être risquée un petit peu parce que Trump peut toujours changer d’idée. Parce que, par exemple, je l’ai mentionné tout à l’heure, la guerre en Ukraine, la plupart des gens pensaient que Trump avait des affinités avec la Russie, voulait mettre fin à la guerre et allait, si on veut, laisser l’Ukraine un peu à elle-même. Mais là, on a vu qu’avec ses nominations au cabinet, c’est une approche un peu différente. Et Trump étant aussi imprévisible, est-ce qu’il ne pourrait peut-être pas mener à une escalade de la guerre entre l’Ukraine et la Russie pour montrer un peu la force de l’Amérique? C’est très probable. Une autre chose qu’on pourrait voir, c’est au niveau du programme économique. Peut-être que Trump pourrait remarquer que certaines contraintes auxquelles il fait face sont un peu plus grandes que ce qu’il pensait et mener son attention à d’autres endroits. Donc, je pense que le danger pour les investisseurs et comment il faut se positionner, c’est qu’il faut rester flexibles. Il faut voir comment évoluent les choses et ne pas nécessairement croire qu’on a compris Trump et se construire un portefeuille qu’on ne touchera pas du tout pendant la période Trump parce que les circonstances pourraient changer. Pour l’instant, je dirais qu’on est positionné de manière relativement procyclique. L’économie américaine continue de bien aller en général, puis on a généralement eu cette position-là toute l’année, puis ça n’a pas vraiment changé. Mais je te dirais qu’on regarde, on analyse les communications puis les politiques en provenance de Washington, puis on reste prêt à ajuster les portefeuilles en conséquence.
Sébastien : On ne s’est pas ennuyé en 2024, on ne s’ennuie pas en ce moment et je ne pense pas qu’on va s’ennuyer en 2025.
Alex : Pas du tout. Je pense que ça va être des rebondissements, des retournements de situation. On se souvient de la gouvernance par tweets de Donald Trump en 2016. Là, je ne sais pas si c’est sur X – anciennement Twitter – ou sur son propre réseau social qu’il va communiquer, mais je pense qu’il va y avoir beaucoup de rebondissements et de revirements de situation.
Sébastien : Ça va être intéressant. Merci beaucoup, Alex, d’avoir pris le temps de venir jaser de tout ça avec nous. Fort apprécié.
Alex : Ça me fait plaisir, Sébastien. Merci de m’avoir invité.
Sébastien : Merci tout le monde de nous suivre chaque semaine comme vous le faites. Si vous appréciez le contenu, n’hésitez surtout pas à le partager. Mais surtout, revenez-nous la semaine prochaine!
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Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.
Sébastien Mc Mahon et Alex Bellefleur
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