Le rôle du Sénat dans le système politique canadien

Au fil du temps, le rôle des sénateurs, maintenant nommés indépendamment des partis au pouvoir, a évolué. Clément Gignac nous parle des multiples rôles qu’il exerce au Sénat et dévoile même des aspects insoupçonnés de cette profession méconnue. Économiste chevronné, il commente aussi sommairement la politique monétaire canadienne actuelle.

Ashleay : Bonjour et bienvenue au balado À vos intérêts!. Mon nom est Ashleay et je suis, comme à l'habitude, accompagné par mon collègue Sébastien Mc Mahon, stratège en chef. Aujourd'hui, nous sommes heureux de recevoir à nouveau le sénateur et économiste Clément Gignac. Nous discuterons de son rôle au Sénat ainsi que de sa vision sur la politique monétaire et fiscale. Alors, bonjour Clément.

Clément : Bonjour, Ashleay. Bonjour, Sébastien.

Sébastien : C'est le fun de vous revoir encore, puis on va essayer de démystifier aujourd'hui le Sénat. Je pense que, même si c'est une institution qui est là depuis presque toujours, on dirait, je ne suis pas certain, qu'il y a tant de nos auditeurs qui comprennent exactement ce que ça fait. Donc, on va essayer d'utiliser votre temps aujourd'hui pour nous démêler tout ça.

Ashleay : Et puis là, pour nos auditeurs, pouvez-vous nous expliquer le rôle et l'importance du Sénat dans le système politique canadien?

Clément : Le Sénat, ça fait partie du pouvoir législatif. Il y a trois pouvoirs : le pouvoir exécutif, ça, c'est le gouvernement, cabinet, conseil des ministres; le pouvoir judiciaire, ça, c'est la Cour suprême; puis le pouvoir législatif, c'est le Parlement, qui comprend à la fois la Chambre des communes et le Sénat. Bien que le Sénat peut initier ses propres projets de loi, le rôle principal du Sénat, c'est ce qu'on appelle en anglais le sober second look en français, je dirais le second regard attentif. Dans la majorité où les sénateurs sont maintenant indépendants, depuis la réforme de monsieur Trudeau en 2015, les projets de loi sont analysés au Sénat, sans lignes directrices des partis politiques ou du parti au pouvoir. Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on peut amender des projets de loi, on peut entendre nos propres témoins et, à ce moment-là, si jamais on amende un projet de loi, bien là, il faut que ça retourne à la Chambre des communes. La bonne nouvelle est la suivante, et ça me dit que notre travail n’est pas si pire : 95 % du temps, lorsqu'on amende un projet de loi, la Chambre des communes est d'accord. Elle l'a accepté. C'est peut-être qu'elle n'a pas vu un détail ou quelque chose de plus important. Donc, c'est ça, essentiellement le travail du Sénat. Il est en complément à celui de la Chambre des communes.

Ashleay : Et puis là, vous faites partie de plusieurs comités sénatoriaux. Pouvez-vous nous parler de votre implication au Sénat?

Clément : Bien moi, les deux comités sur lesquels je siège en permanence et ça ne vous surprendra sans doute pas, Ashley et Sébastien, c'est celui des banques et économie et l'autre c'est celui des finances nationales. Il faut dire que le gros de ma carrière s'est passé dans le secteur financier, auprès des institutions financières. Puis, à chaque année, j'analysais les budgets ou les mises à jour budgétaires. Je pense que ça remonte au temps de Paul Martin que j'ai commencé à commenter dans les médias. Donc, c'est les deux comités sur lesquels je travaille. D'un point de vue intellectuel, moi, en fait, j'aime mieux les travaux au comité qu'en plénière, parce que là, vraiment, on peut aller plus à fond, on peut questionner les témoins. Et, dans le fond, les témoins peuvent être en faveur ou contre des projets de loi; ils suggèrent des amendements. Donc, c'est la portion que j'aime beaucoup. L'autre volet : je suis aussi impliqué dans l'Association parlementaire des pays membres de l'OTAN. Je suis sur le comité exécutif et ça m'amène à avoir l'opportunité de voyager, de rencontrer, avec mes collègues parlementaires, le secrétaire général de l'OTAN, puis aussi je fais partie, à l'occasion, du Comité de la défense nationale. Et là on a des missions d'étude. J'ai eu la chance de visiter l'Arctique canadien au niveau des infrastructures de télécommunications, des infrastructures militaires, puis aussi, imaginez-vous d'aller au quartier général du NORAD au Colorado, donc au sein du commandement. Donc, c'est très, très, très intéressant comme travail.

Sébastien : Quand vous avez ces voyages-là, ça doit être le fun quand même. C'est comme un peu retomber un petit gars, impliqué avec l'armée, aller voir NORAD et tout. Comment ça se passe ces voyages-là? Vous aimez ça?

Clément : Oui, parce que NORAD, quand on était, ils appellent ça la Cheyenne Mountain, là, t'es vraiment dans un bunker avec tous les écrans, l'impression c'est que t'es dans un film d'Hollywood, là, avec le commandant. On se rappellera quand il y a eu les attaques du World Trade Center le 11 septembre 2001, en fait, c'était le NORAD qui avait pris le contrôle de tout l'espace aérien en Amérique du Nord. Donc, c'est là que ça se passait. Puis aussi, le fameux ballon. En fait, j'étais allé là, je pense que c'était trois jours après qu'il y avait le ballon chinois qui avait survolé l'Amérique du Nord. Donc, on a posé toutes sortes de questions. Je peux pas vraiment dévoiler les réponses qui nous ont été données, mais mon point, c'était vraiment intéressant. Écoute, c'est sérieux et vous savez qu'à travers le monde, c'est les deux seuls pays souverains où il y a une alliance militaire permanente ou l'on échange. Donc, c'est vraiment intéressant et je trouve qu'au plan intellectuel de pouvoir faire partie de ça, c'est intéressant parce que maintenant la géopolitique influence beaucoup aussi l'économie avec tout ce qui se passe, que ce soit en Ukraine ou que ce soit les tensions qu'on peut avoir avec la Chine. Donc, être impliqué dans le Comité de la défense nationale, c'est intéressant.

Sébastien : Puis, ceux qui nous écoutent, puis qui veulent mieux comprendre ce que ça fait, le Sénat, je les encourage beaucoup de vous suivre, Monsieur Gignac, sur LinkedIn. Je sais que vous êtes actif là, vous êtes actif sur d'autres plateformes aussi, mais vous mettez des vidéos, des discussions que vous avez avec les gens qui passent devant le Sénat. Quand vous avez des voyages, c'est sûr que vous ne dévoilez pas de secrets, mais on voit un peu qu'est-ce que vous faites; on voit un peu l'apport du Sénat, l'importance de tout ça. Ça vient démocratiser un peu. Puis, vous partagez aussi des opinions, comme un sénateur indépendant a le droit de partager des opinions sur la politique fiscale, la politique monétaire. Donc, on peut apprendre beaucoup juste à vous suivre.

Clément : Ouais, puis merci de m'en parler, parce que d'en parler, c'est démystifier qu'est-ce que ça fait à un sénateur. J'ai même accepté il y a deux semaines d'aller dans une école primaire pour expliquer aux jeunes, parce que j'ai monté une présentation pour expliquer qu'est-ce que ça fait un sénateur. Donc, les gens restaient surpris. Évidemment, les gens peuvent avoir leur point de vue, parce que faut dire qu'il y a des images ou des vidéos qu'on a qui reculent à une autre époque. Mais maintenant que c'est vraiment des sénateurs indépendants qui sont nommés, des gens qui ont eu des belles grandes carrières, les gens n’ont pas de temps à perdre. Moi, personnellement, pour être honnête, là, si on n'avait pas cette indépendance-là, je serais pas sénateur parce que j'aurais jamais appliqué, suivre une ligne de parti. Donc, vraiment, on espère, modestement il va sans dire, mais amener une certaine contribution et expliquer que dans le fond, un second rôle attentif, ça peut éviter des problèmes de contestation aussi en Cour supérieure ou en Cour suprême avec des projets de loi.

Ashleay : Et puis là, tant qu'à vous avoir, on va en profiter. Quelle est votre opinion sur l'état actuel de la politique monétaire au Canada et quelles recommandations feriez-vous pour l'avenir?

Clément : Premièrement, je suis bien content qu'on ait eu droit à notre première baisse de taux finalement depuis depuis un an. Ça faisait longtemps que moi je l'attendais du moins. Donc, il s'est mis en branle. Première banque centrale du G7 à baisser les taux. Il faut dire que ça a été la première banque centrale aussi à monter les taux. La politique monétaire au Canada, moi je la trouvais, je la trouve encore, très restrictive parce que quand je regarde le taux d'inflation, le taux directeur, en fait, on a une politique restrictive. Il faut savoir aussi qu'au Canada, la politique monétaire, les effets de la politique monétaire se transmettent de façon plus rapide à l'économie qu'en Europe, qu'aux États-Unis. Pourquoi? Premièrement, on est bien plus endettés comme ménages et deuxièmement, on n'a pas des hypothèques, nous, à 20 ou 30 ans à taux fixe. Le mieux que tu peux avoir, c'est cinq ans. Donc, à peu près tout le monde à compter de l'an prochain, va avoir renouvelé son hypothèque à des taux beaucoup plus élevés. Donc, même si on baisse un peu les taux d'intérêt, pour bien du monde, ça va faire mal la hausse des taux d'intérêt qu'on a connue. Donc, clairement, je pense qu'on était dus pour bouger. Pourquoi? Parce que le taux d'inflation, la tendance récente, on est en train de tomber en bas de 3 % si on exclut l'effet des intérêts hypothécaires, on parle même en bas de deux et le taux de chômage qui augmente également là. Oui, il est faible, mais on parle pas mal moins de pénurie de main-d'œuvre. Puis, pour les jeunes aussi, l'emploi cet été, ça va être plus difficile un peu d'en trouver. C'est pas tout le monde qui va pouvoir trouver un emploi. À Toronto, imaginez-vous qu'on parle maintenant d'un taux de chômage de 15 % pour les jeunes. Au Québec, c'est 9 %. Faut dire que l'immigration est beaucoup plus forte également à Toronto. Donc, à ce moment-là, on ne réussit pas à créer tous les emplois pour tous les nouveaux qui arrivent. Donc, clairement, je pense que la Banque du Canada a compris le message. Puis, il faut qu'ils mettent un peu d'oxygène pour donner une chance aux jeunes.

Sébastien : On a commencé, probablement même qu'on pourrait avoir une deuxième coupure à la fin du mois de juillet. Donc, le train est lancé. C'est une bonne nouvelle.

Clément : Bien, je serais pas surpris. Moi, je pense que, Sébastien, c'est pas une science exacte, tu le sais, mais probablement que d'ici à la fin de l'année on va être plus proche du 4 % que du 5 % là à la fin de cette année.

Ashleay : Et puis Monsieur Gignac, on parlait beaucoup d’immigration. Justement, est-ce que c'est représenté au Sénat?

Clément :  Oui, parce que si on regarde au niveau de la composition du Sénat, en fait, premièrement, on a beaucoup, beaucoup de communautés au niveau des communautés autochtones, les autochtones représentent pas loin de 12 % maintenant des sénateurs au Sénat. Donc, une proportion beaucoup plus élevée qu'à la Chambre des communes. D'ailleurs, je suis content que tu poses la question parce que si on regarde la représentativité du Sénat, bon, nous on est nommés, on n'est pas élus, mais le fait d'être nommés, ça va plus vite. Exemple : maintenant, il y a plus de femmes sénatrices que d'hommes sénateurs au Sénat. On a des autochtones beaucoup plus en proportion qu'à la Chambre des communes. Aussi, au niveau de la diversité, les différentes communautés culturelles. Donc, le Sénat est devenu beaucoup plus représentatif, en fait, de la population canadienne que ne peut l'être la Chambre des communes. Parce qu'il y a un délai, évidemment.

Ashleay : Absolument. Et comment voyez-vous l'évolution de la politique fiscale canadienne dans les prochaines années et quelles mesures devraient être prioritaires selon vous?

Clément : Premièrement, même si c'est vrai que le gouvernement fédéral s'est bien endetté, nous, l'état de nos finances publiques, quand on les compare au plan international, elles sont encore relativement bonnes. On est triple A. Puis, le service de la dette, au moment où on se parle, c'est environ 12 cents qui va au service de la dette par dollar de recettes, alors que dans le milieu des années 90, on parlait de 38 sous. On disait même qu'il y avait un risque qu'on devienne sous la tutelle du FMI avant que Paul Martin ne s'y mêle. Mon inquiétude actuelle, pour répondre à ta question, Ashleay, c'est que ça vient du fait que le gouvernement met beaucoup, beaucoup plus d'énergie sur des programmes de distribution de richesse sans doute en raison de sa coalition avec le NPD que sur des programmes de création de richesse. Donc, pour l'instant, ça va bien. Donc, on a beaucoup de programmes, on met des programmes, il y a beaucoup d'appétit pour ça. L'assurance médicaments, l’assurance dentaire. Ici, je veux pas dire que c'est pas nécessaire, mais je fais juste dire que si on met beaucoup d'énergie là-dessus, il faut s'assurer aussi de l'autre côté qu'on a un programme d'accélération de la création de richesse. Parce que pour éviter de laisser aux générations futures des déficits qui se mettraient à s'accélérer de nouveau. Donc, pour l'instant ça va bien. Mais là où est ma déception, c'est peut-être qu'on manque un petit peu d'imagination pour aller vers des programmes de création de richesse alors que on met beaucoup, beaucoup d'énergie sur la distribution de la richesse.

Sébastien : Même la Banque du Canada commence à s'inquiéter publiquement de la productivité. On en a parlé beaucoup dans le passé et on va en parler probablement encore pendant plusieurs années. Donc, c'est un frein à l'économie.

Clément : Par ailleurs, on a nos obligations internationales avec l'OTAN, là. On est le seul pays des 32 pays membres qui n'a pas de cible de 2 %. Donc, oui, ça paraît peut-être loin la guerre sur l'Ukraine, mais il faut penser, il faut protéger aussi nos frontières. Avec le réchauffement climatique, ça va être vraiment la route au nord qu'on devra protéger de la route commerciale dans l'Arctique. Donc, il faut commencer à investir pour être prêts dans 20 ou 30 ans d'ici. Donc, clairement là, oui, il y a beaucoup de programmes sociaux, mais il faut penser également à la sécurité nationale, puis surtout à la pérennité pour nos générations futures.

Ashleay : Wow! Bien, merci infiniment, Monsieur Gignac. Vraiment toujours aussi fascinant, hein Sébastien?

Sébastien : Toujours.

Ashleay : Alors, c'est ainsi que ça se termine notre épisode d'aujourd'hui. Merci de nous avoir expliqué quel est le rôle au Sénat et de nous avoir partagé vos points de vue sur la politique monétaire et fiscale. C'était un plaisir de vous recevoir au balado et de reconnecter avec vous.

Clément : Un plaisir partagé, Ashleay. Un plaisir partagé, Sébastien. Ça rappelle des beaux souvenirs quand on travaillait ensemble.

Sébastien : Oui, on dirait qu'on est revenu dans le passé. On pourrait jaser des heures comme ça.

Ashleay : Ah oui! Ah oui, tellement. Et puis merci, Sébastien et à tous nos auditeurs et auditrices, n'hésitez pas à nous écrire si vous avez des questions. Et on se dit à la semaine prochaine! Vous avez aimé cet épisode et vous aimeriez en apprendre davantage sur l'actualité économique? Abonnez-vous à notre balado À vos intérêts!, disponible sur toutes les plateformes. Vous pouvez aussi visiter la page Actualités économiques sur ia.ca et nous suivre sur les réseaux sociaux.

À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon et Clément Gignac

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