Silicon Valley Bank (SVB) : la pointe de l’iceberg d’une crise majeure?

Les faillites éclairs successives de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank mèneront-elles vers une réforme du système bancaire américain? Politique monétaire, taux directeur, problème de modèle d’affaires ou situation qui pourrait se propager rapidement; Sébastien Mc Mahon éclaircit la situation!

Ashleay : Bienvenue au balado À vos intérêts! de iA Groupe financier où l'objectif est de vous partager l'essentiel de l'actualité économique et de ses impacts sur vos finances. Mon nom est Ashleay et cette semaine, on fait le tour de l'actualité économique avec Sébastien Mc Mahon, notre stratège en chef et économiste senior chez iA Groupe financier. Les faillites éclair successives de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank font jaser. Et maintenant, ce sont les banques européennes qui font peur aux marchés. Alors Sébastien, bonjour.

Sébastien : Bonjour Ashleay.

Ashleay : J'avais personnellement hâte de t'entendre à ce sujet. Alors Sébastien, qu'est-ce qui se passe avec les banques?

Sébastien : C'est très intéressant comme environnement. Puis là, on est le 15 mars en après-midi quand on enregistre ça, donc c'est important, parce que ce matin on a eu des petites surprises encore que là, c'est du côté européen qu'il y a un petit peu de volatilité du côté des banques, mais juste pour mettre ça au clair, pour commencer, les banques canadiennes sont solides. Il n'y a pas de problème dans les banques canadiennes. Les banques canadiennes sont diversifiées, sont réglementées comme dans peu d'endroits dans le monde. Elles ont des ratios de capital élevés. Ça veut dire qu'elles ont beaucoup de sous de côté pour assurer la stabilité de leur modèle d'affaires. Donc, on ne parle pas de problème dans les banques canadiennes. Puis on n'est pas en train de revivre 2008. En 2008, si vous vous rappelez, ceux qui étaient déjà des investisseurs, disons, intéressés par les nouvelles, vous allez vous rappeler que les banques étaient remplies de produits financiers qui étaient « toxiques ». Vous vous rappelez, la bulle immobilière qui a commencé au début des années 2000 a fait en sorte qu'il y avait des gens qui avaient des hypothèques très élevées, qui n'avaient pas d'affaire à avoir des hypothèques très élevées parce qu'ils ne se seraient pas qualifiés. Puis les banques, il y avait une pratique, surtout du côté américain, là, moins du côté canadien ou à peu près pas, même, du côté canadien, mais les banques américaines, bien, elles prêtaient de l'argent à des gens, puis après ça, elles mettaient les hypothèques dans des pots, là, dans des packages, puis elles vendaient ça sur les marchés, puis bon, bien on ne savait plus le risque était où, il était mesuré comment, jusqu'à tant qu'un moment donné, tout ça s'effondre, puis les banques, on s'est rendu compte qu’elles se sont fait prendre les culottes à terre parce qu'elles n’avaient pas vraiment les reins aussi solides qu'elles pensaient. Ce n'est pas la même chose du tout. C'est des cas qui semblent être spécifiques pour le moment. Donc la Silicon Valley Bank, c'était un peu ça, c'était la banque de Silicon Valley, donc on avait des dépôts qui provenaient d'entreprises et d'individus qui sont dans le monde de la technologie, puis le monde de la technologie, ça va bien quand l'économie est forte, ça va bien quand les taux d'intérêt sont bas, puis là, bien, l'économie ralentit un peu, les taux d'intérêt sont élevés, donc ces clients-là avaient besoin d'argent. Puis, mauvaise surprise, la banque avait investi dans des obligations de très long terme et elle n’avait pas géré son risque. Donc la valeur des actifs de la banque a fondu au même moment. Puis quand les gens veulent ravoir leur argent, ça va vite. Puis Silicon Valley Bank, ça a fait faillite en 24 h. Donc ça, on peut dire que c'est, pour le moment, ça semble être un cas unique. Mais il ne faut pas oublier que les banques c'est très charnière à la vie économique, puis les ménages, les déposants, bien, c'est leur argent qui est dans les banques. Donc si on a peur que ça se pourrait que peut-être ma banque aussi puisse avoir des problèmes quelque part, les gens ont tendance à ne pas se poser de questions, à agir, à sortir l'argent de leurs petites banques régionales. Puis c'est ce qu'on appelle une ruée sur les banques. Donc on demeure optimiste, mais prudent, que dans le moment ça semble avoir été contenu du côté américain. Mais on ne sait jamais, la semaine prochaine, y a-t-il d'autres banques qui vont avoir des enjeux? Les marchés bancaires américains, c'est différent de ceux au Canada. Au Canada, on a les six grandes banques, on a quelques petites banques régionales, comme la Banque Laurentienne. Du côté américain, il y en a 4550 et quelques banques régionales, puis ces banques-là, il y en a qui sont très spécialisées. Dans le Midwest américain, il y a la banque des fermiers, puis s’il y a quelque chose qui ne va pas bien du côté de l'agriculture et qu’il y a une tempête parfaite avec les marchés, ça peut être des banques qui peuvent être à risque aussi. Donc, le marché américain, c'est différent du marché canadien. C'est un très long préambule que je viens de faire là, mais juste se rassurer que ce n'est pas 2008, puis que les banques canadiennes, il n'y a pas de problème.

Ashleay : Excellent. Donc, tu viens de l'expliquer parfaitement bien. Donc tout le monde connaît la Silicon Valley Bank maintenant qui a récemment fait faillite en quelques jours. Et ses problèmes, finalement, n'étaient pas limités à son modèle d'affaires de ce que je comprends. Est-ce que ça peut se généraliser?

Sébastien : Bien, c'était une question de gestion des risques beaucoup. Donc, comme je disais tantôt, la banque a pris les dépôts, puis a investi dans des obligations de long terme, puis on a déjà fait ça dans le passé dans un balado, puis il y a une capsule Économie et finance 101 aussi sur notre page Web, que quand les taux d'intérêt augmentent, ça fait baisser la valeur marchande d'une obligation. Là, on ne fera pas de mathématiques dans un balado, excuse-moi, là, c'est difficile, mais c'est un problème de gestion des risques. Puis là, ce matin, on s'est réveillé mercredi, puis là c'est la banque d'investissement surtout, Credit Suisse, qui est basée en Suisse, bien sûr, c'est une banque européenne qui, elle aussi, a eu des problèmes par le passé. Elle a investi dans des fonds, a eu des partenaires qui ont eu de la difficulté, elle est considérée un peu comme un moins bon joueur, disons, ce n'est pas un très bon élève au lieu aux yeux des régulateurs, la banque Credit Suisse, donc, a des enjeux qui sont uniques à elle. Mais ça fait quand même en sorte que les investisseurs regardent ça, puis ils disent « OK, peut-être qu'il y a d'autres banques qui ont des relations d'affaires avec elle ». Le risque de contrepartie, ces banques-là, peut-être qu'elles font affaire ensemble, on investit dans les titres de l'autre banque. On achète du crédit d'une banque à l'autre, donc est-ce que ça peut avoir un effet de contagion? 2008, peut-être qu'il y en a qui nous écoutent qui sont jeunes, là, mais c'est hier, là, 2008, dans le monde économique, puis dans le monde des banques. Donc je vous dirais que ça amène peut-être des squelettes, là, d'une époque qui est un peu plus, qui est encore marquée au fer rouge dans l'imaginaire collectif. Donc ça crée des paniques, ça crée du stress. Puis quand, comme je disais tantôt, quand on touche au secteur des banques, d'être prudent, même si on est optimiste, d'être prudent dans nos vues, bien généralement c'est justifié.

Ashleay : Absolument. Puis souvent, l'émotion va prendre le dessus sur la raison en plus, pardon. On entend parfois parler de Black Swan ou le cygne noir en français. Est-ce que tu peux expliquer ce que ça veut dire dans tes termes?

Sébastien : Oui, un cygne noir, vous savez, un cygne, ça a tendance à être blanc, donc il y a des fois il y en a un noir qui arrive. Donc c'est un événement qui est qui est très rare, puis c'est ça par définition, un cygne noir, c'est un événement qu’on ne voit pas venir, ça nous prend par surprise, même si après quand on regarde un peu les chiffres, on se rend compte « Ah oui, c'est vrai, c'était évident que ça s'en venait, mais les gens ne regardaient pas ça, les gens regardaient ailleurs ». Donc ça surprend les marchés. Puis c'est surtout difficile de mesurer l'ampleur des impacts. Et s’il y a quelque chose que les marchés n’aiment pas et aussi les déposants n’aiment pas, c'est de l'incertitude envers ce qui s'en vient. Puis envers, en plus, le sort de la banque dans lequel on dépose l'épargne de notre vie. Donc les investisseurs vendent et réfléchissent après quand il y a un cygne noir, un Black Swan, qui frappe, puis du côté bancaire, bien les gens veulent ça. Aussi, aujourd'hui, on n’a plus besoin d'aller faire la file devant la succursale locale puis sortir notre argent; on peut prendre notre téléphone. Puis c'est ce qu'on a vu dans les derniers jours du côté américain. Il y a de grandes banques américaines, il y avait Bank of America ce matin qui disait que dans les derniers jours, il y a 15 G$ de dépôts, qui viennent de rentrer parce que les gens disent « OK, ma banque régionale, peut-être que c'est moins sécure. Je prends mon téléphone intelligent, je m'ouvre un compte dans une autre banque, je transferts l'argent et puis voilà ». La ruée sur les banques en 2023, il y a un aspect technologique qui n’est pas négligeable.

Ashleay : Et puis on doit comprendre que la politique monétaire s'est resserrée peut-être trop rapidement. Est-ce que les taux directeurs des banques centrales vont commencer à chuter maintenant?

Sébastien : Bien, les marchés commencent à s'attendre à des chutes de taux directeurs d'ici la fin de l'année. Je vous dirais que le combat contre l'inflation n’est pas gagné du tout. Si on a vraiment des enjeux du côté des banques et que ça fait en sorte que ça ralentit l'économie assez rapidement parce que le crédit stoppe et tout stoppe., bien peut-être qu'une belle conséquence de ça, ce serait que l'inflation pourrait disparaître aussi parce que l'économie ralentirait assez, mais sinon, ce serait difficile de voir les taux d'intérêt baisser beaucoup. Donc il y a la stabilité financière, il y a la stabilité des prix. C'est difficile, l'endroit où les banques centrales se retrouvent dans le moment. Mais oui, clairement, la politique monétaire qui est partie en 2022 du niveau plancher, le plus accommodant qu'elle pouvait être, puis à la fin de l'année, on s'est retrouvé à des niveaux de taux directeurs qui étaient les plus hauts en quinze ans. Puis ça a été le resserrement le plus rapide ou à peu près, du moins de cette génération-ci, là, bien, il faut s'attendre, il fallait s'attendre, éventuellement à ce qu'il y ait des pots cassés. Puis on n'est pas des devins, on ne savait pas quand, on ne savait pas quoi, mais là, on se rend compte que le risque de taux d'intérêt sur les bilans des banques, bien, c'est un très bon candidat à être le premier pot cassé significatif.

Ashleay : Et là, je me permets une dernière question avant la fin du balado. Maintenant, la Fed a accepté de rembourser les gens qui avaient investi avec la SVB. Pourquoi n'a-t-elle pas fait ça en 2008?

Sébastien : Ben, la Fed n’a pas accepté de rembourser les gens. C'est qu’il y a l'assurance dépôts aux États-Unis qui existe comme au Canada. Puis l'assurance dépôts couvre les dépôts jusqu'à 250 000 $ dans une institution financière. Si vous avez 250 000 $, ça, je parle des États-Unis. Au Canada, les chiffres sont différents, mais aux États-Unis, si on a 250 000 $ de déposé dans un compte de courtage, dans un compte-chèques, dans un compte d’épargne, dans une institution financière, bien, ça, c'est tout garanti. Puis l'excédent, il n’était pas garanti si la banque faisait faillite. Donc là, il y a deux mesures, là. Puis monsieur Biden, le président américain, est sorti pour dire que pour ces banques là, tout va être garanti, n’inquiétez-vous pas. Donc ça, c'est l'assurance dépôts. Puis il y a le Trésor américain qui s'en est mêlé aussi pour s'assurer que ça se fasse. Mais ce que la Réserve fédérale a fait, elle, c'est qu'elle a mis en place un programme qui fait en sorte que les banques, pour éviter qu'elles soient obligées de faire des ventes de feu d'actifs parce qu'elles ont des obligations, mais si elles veulent les vendre rapidement, bien, elles vont perdre de l'argent, puis c'est comme ça qu'une banque, ça peut s'éteindre en claquant des doigts. Mais ils ont mis un programme en place pour dire « Vous n'avez pas besoin de faire une vente de feu, on va vous prêter de l'argent basé sur le capital que vous avez » juste pour que les banques redeviennent liquides tout d'un coup. Ça, ça semble fonctionner, ça semble fonctionner, mais on voit quand même les gens qui disent « Bravo, la banque, peut-être bien qu'elle ne fermera pas, mais redonne-moi mon argent quand même, je sors puis je m'en vais dans une autre banque ». Donc il faut s'attendre à ce qu'il y ait des banques régionales américaines, qui sont petites, mais nombreuses, qui ferment quand même au bout de tout ça.

Ashleay : Bien merci, Sébastien, je comprends beaucoup mieux. J'espère que les auditeurs, vous avez aussi apprécié et n'hésitez pas aussi à partager notre balado avec votre entourage. À bientôt. Vous avez aimé cet épisode et vous aimeriez en apprendre davantage sur l'actualité économique? Abonnez-vous à notre balado À vos intérêts! disponible sur toutes les plateformes. Vous pouvez aussi visiter la page Actualités économiques sur ia.ca et nous suivre sur les réseaux sociaux.

À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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