Doit-on craindre davantage l’inflation ou la récession?

Quel phénomène entre l’inflation et la récession fait le plus mal à l’économie et pourquoi la Banque du Canada semble-t-elle vouloir nous pousser indirectement vers le fameux mot en R que personne n’ose annoncer? Sébastien Mc Mahon nous offre une analyse de l’arrière-scène et des impacts de ces stratégies de contrôle de l’économie.

Ashleay : Bienvenue au balado À vos intérêts! de iA Groupe financier dans lequel on discute de l'essentiel de l'actualité économique et de ses impacts sur vos finances en moins de dix minutes. Doit-on craindre davantage l'inflation ou la récession? Mon nom est Ashleay. Je suis en compagnie de mon collègue Sébastien Mc Mahon, notre stratège en chef et économiste senior chez iA Groupe financier. Bonjour, Sébastien!

Sébastien : Bonjour, Ashleay.

Ashleay : On en a parlé beaucoup dans ce balado. Les risques de récession sont élevés en 2023 et l'inflation demeure un problème. Alors là, la Banque du Canada travaille fort pour régler le problème de l'inflation en poussant peut-être l'économie en récession. Alors Sébastien, pourquoi fait-elle ça?

Sébastien : C'est une très bonne question, Ashleay. Et je veux juste dire pour commencer que la Banque du Canada, ce n'est pas un méchant dans un film de James Bound qui essaie de faire tomber l'économie de l'autre côté du précipice, là, ce n'est pas ça du tout. La Banque du Canada, son mandat, tout comme les autres banques centrales, c'est de maintenir l'inflation à un niveau faible et stable. Donc ça, c'est le mandat premier. Il y a aussi un mandat pour garder les conditions les plus favorables au marché du travail, mais on focus simplement sur le mandat de l'inflation, là. C'est ça, leur travail. Donc, quand l'inflation est élevée ou quand l'inflation est volatile comme on a vu au cours des deux dernières années, donc, la Banque du Canada, son travail, c'est de mettre les pieds sur le frein, de faire ralentir l'économie pour enlever les pressions inflationnistes, pour éventuellement ramener l'inflation vers la cible, qui est entre 1 et 3 %. Donc c'est son mandat, c'est sa raison d'être. Donc elle n’est pas là pour créer de la misère dans la population, auprès des entreprises. C'est simplement son mandat.

Ashleay : Je vois. Et puis pourquoi est-ce que la récession est moins grave et plus acceptable que l'inflation?

Sébastien : Ouais, bien une récession, ce n'est pas souhaitable non plus, mais je vous dirais que ça fait un peu partie du cycle économique. Donc c'est un peu la mort du cycle économique. C'est comme on dit que la mort fait partie de la vie. Puis une récession, ça fait partie d'un cycle. Et puis après une récession, la bonne nouvelle, c'est qu'un nouveau cycle naît. Donc quand il y a une récession, généralement, un ralentissement économique fait en sorte qu'il y a des mises à pied. Il y a des gens qui perdent leur emploi, mais on a des programmes qui sont en place avec l'assurance emploi pour soutenir ces gens-là, peut-être leur donner une opportunité même de se respécialiser dans autre chose, de se transformer. Puis après ça, quand le nouveau cycle économique naît, généralement les gens sont capables de se placer parce que le taux de chômage augmente, mais en général c'est 2 à 5 % d'augmentation du taux de chômage. Ce n'est pas comme si toute la population souffrait. Du côté de l'inflation, par contre, l'inflation touche tout le monde et surtout les personnes moins bien nanties. Comme dans le moment, on sait que l'inflation à l'épicerie, c'est 10 %. Le chiffre l'inflation totale est plus proche de 7. Donc les plus petites familles, peut-être les familles avec des moyens plus modestes où le budget est beaucoup dédié au poste qui est l'épicerie, au poste qui est la pompe à essence. Donc ces gens-là sont pris avec un vent de face qui est assez important, puis on perd du pouvoir d'achat. C'est pour ça que ce n'est pas souhaitable d'avoir un taux d'inflation qui est élevé pour la population en général.

Ashleay : Je comprends, donc la récession est un phénomène normal ou inévitable même qu'on pourrait dire, mais l'inflation, elle, elle ne l'est pas.

Sébastien : Non, on peut éviter l'inflation en général. Du moins, on peut la contrôler, disons, on va le dire comme ça. Les banques centrales sont capables avec les outils dont elles disposent. L'outil principal, c'est le taux directeur. On en parle, on en a parlé beaucoup en 2022, on va en parler encore beaucoup en 2023 aussi. Donc on est capables de monter le loyer de l'argent pour essayer de ralentir l'économie. Ça coûte plus cher à emprunter. L'économie ralentit, on a moins de pressions inflationnistes ou, dans le sens inverse, si l'inflation est trop basse, comme c'était un problème dans la décennie 2010, les banques centrales peuvent essayer de faire des choses pour soutenir l'inflation pour qu'il y en ait un peu. Donc l'inflation, je dirais que c'est un phénomène économique normal, mais qui se contrôle. Donc les banques centrales sont efficaces pour contrôler.

Ashleay : Excellent! Et on entend tout plein de chiffres actuellement sur l'inflation. Donc il y a l'inflation annuelle, mensuelle, de base. En tant qu’économiste, que regardes-tu plus précisément à l'heure actuelle?

Sébastien : Dans le moment, je dirais que l'inflation annuelle, regarde, en date d'aujourd'hui, c'est environ 7 % au cours des douze derniers mois, l'inflation au Canada. Ça, ça commence à être un peu moins informatif parce que ce qui s'est passé l'an dernier ou à la fin de 2021, début 2022, ce n'est plus ça qui est si important, c'est plus l'inflation mensuelle. Donc on regarde la variation des prix mois sur mois, on veut voir, est-ce qu'il y a une accélération, une décélération? La bonne nouvelle, c'est qu'on dirait qu'il y a une décélération de l'inflation en général dans le moment, mais on voit que c'est surtout concentré dans le prix de l'essence, dans le prix des autos neuves et usagées. L'épicerie, ça continue d'être même en accélération, l'inflation. Du côté des loyers, ça s'accélère aussi, ou du moins c'est à un niveau élevé. Donc on regarde vraiment ce qui se passe au point de vue mensuel. L'inflation de base, quand on regarde l'inflation totale, mais on exclut les composantes les plus volatiles, dont la nourriture et puis l'essence, ça aussi, ça nous donne une idée de l'inflation sous-jacente, ce que ça dit, donc ce sont toutes des composantes qu'on regarde pour avoir une bonne idée. Mais l'inflation totale annuelle dans le moment, peut-être un petit peu moins informatif.

Ashleay : Je comprends et je me rappelle que certains grands-parents disaient que l'inflation est la mère de tous les maux. Pourquoi disait-on ça?

Sébastien : Parce que l'inflation dans les années 70, dans le début des années 80, elle était élevée et était volatile. Et ça, ça créait des problèmes pour les entreprises, premièrement. Quand l'inflation est élevée et volatile, c'est difficile pour les entrepreneurs de prévoir devant. Comment est-ce que les niveaux des prix, de leurs intrants, du produit qu'ils vont vendre vont pouvoir évoluer dans le temps? Donc, est-ce que j'investis maintenant? Est-ce que j'investis en grande quantité ou est-ce que j'attends que l'inflation soit plus basse, sous contrôle? Ça faisait en sorte qu'on retardait des projets d'investissement. Ça, ça fait en sorte que ça fait ralentir l'économie parce qu'il y a des projets qui ne se produisent pas. Les entreprises aussi peuvent dire « Bien, est-ce qu'on embauche ou on n’embauche pas pour nos projets? » Donc ça fait en sorte que c'est un vent de face pour l'économie. Même chose pour les ménages. Si on veut s'acheter une maison, est-ce qu'on va être capable de se la payer avec l'inflation qui est assez volatile et qui est élevée? Est-ce que notre pouvoir d'achat va être suffisant? Donc on se rendait compte qu'avoir une inflation qui est plus faible, qui est relativement stable dans le temps, ça vient régler beaucoup de problèmes. Donc, c'était un président américain qui avait dit que l'inflation, c'était l'ennemi public numéro un. Donc, ça vient de là, de cette époque-là, puis la période d'après où l'inflation était bien contrôlée depuis le milieu, depuis le début des années 90, disons, on voit que c'était une période quand même de prospérité assez importante.

Ashleay : Absolument. Donc, je suis convaincue. L'inflation est effectivement un mal à éviter quand on le peut, mais la récession, elle aussi, elle ne serait pas la mère des grands maux?

Sébastien : Ouais, bien une récession, quand on subit les contrecoups d'une récession, oui, ça fait mal à des familles, tout à fait. Comme je le disais d'entrée de jeu, une récession, c'est un ralentissement économique, ça vient avec, il y a des programmes sociaux, disons, qui sont là pour essayer de nous de supporter, ceux qui qui en écopent. Donc, une récession, on ne veut pas passer par là, nécessairement, mais ça fait partie d'un cycle économique, ça fait partie de la vie. Et puis généralement, on se retrouve avec des taux d'intérêt qui sont plus faibles en récession. Donc ça peut faire en sorte qu'il y a des projets d'investissement qui deviennent, là, maintenant intéressants à lancer. Donc, il faut juste voir ça comme étant un le début d'un nouveau cycle, une récession.

Ashleay : Je comprends. Et selon toi, est-ce que ça va bien se terminer tout ceci?

Sébastien : Bien, dans le moment, je pense que oui. Puis c'est toujours dangereux de s'enregistrer comme économiste, c'est-à-dire faire des pronostics. Mais quand on regarde le marché du travail canadien, québécois, américain, on voit qu'on est en pénurie de main-d'œuvre assez importante. C'est difficile d'embaucher des gens. Puis disons que la barre est haute pour commencer à avoir des mises à pied massives. Donc, si le marché du travail est assez serré, on pourrait avoir une récession peut-être atypique, avec un taux de chômage qui augmente moins, où il y a moins de pertes d'emplois. Et puis une question que j'aime bien poser quand je donne des conférences devant un auditoire, je pose la question, bien, « qui ici se rappelle de la récession canadienne de 2015? » Puis il n'y a pas beaucoup de mains qui se lèvent dans le Canada, à l'exception de l'Alberta, où c'est là qu'on avait subi les contrecoups de la récession. C'était le prix du pétrole qui avait baissé en 2015 et avait fait un ralentissement économique. Il y avait eu des pertes d'emplois en Alberta, beaucoup. Ils l'avaient bien senti. La récession, ils s'en rappellent. Ailleurs dans le Canada, on l'avait moins ressentie. Donc une récession qui fait un peu moins mal, c'est quelque chose qu'on est capable de passer à travers, je dirais, si, au bout du compte, ça nous permet finalement de ramener l'inflation à la cible.

Ashleay : Je comprends. Merci beaucoup Sébastien. Très intéressant comme d'habitude. J'espère que vous avez apprécié. Si vous aimez notre balado, n'oubliez pas de partager et de vous abonner. Vous avez aimé cet épisode et vous aimeriez en apprendre davantage sur l'actualité économique? Abonnez-vous à notre balado À vos intérêts! disponible sur toutes les plateformes. Vous pouvez aussi visiter la page Actualités économiques sur ia.ca et nous suivre sur les réseaux sociaux.

À propos

Sébastien possède près de 20 ans d’expérience dans les secteurs privé et public. En plus de son rôle de stratège en chef et d’économiste sénior, il est également gestionnaire de portefeuilles chez iA Gestion mondiale d’actifs et membre du comité d’allocation d’actifs de la société. Ces fonctions lui permettent d’exprimer sa passion pour les chiffres, les mots et la communication. Sébastien agit en tant que porte-parole de iA Groupe financier et conférencier invité sur les questions qui touchent l’économie et la finance. Avant de se joindre à iA en 2013, il a occupé divers postes dans le secteur de l’économie à l’Autorité des marchés financiers, chez Desjardins et au ministère des Finances du Québec. Sébastien est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université Laval et détient le titre de CFA.

Sébastien Mc Mahon

Vice-président, allocation d'actifs, stratège en chef, économiste sénior et gestionnaire de portefeuilles

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