Brouillard de la guerre commerciale | Ce que l’histoire nous enseigne

Peu de décisions politiques ont autant de répercussions que celles relatives au commerce international.

Publié le 26 mai 2025

Bien que souvent présentées comme étant un outil visant à protéger les industries nationales et la main-d’œuvre, les restrictions commerciales ont tendance à déclencher des représailles, à perturber les chaînes d’approvisionnement et à remodeler les alliances économiques mondiales.

La décision de l’administration Trump en 2018 d’imposer des tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium a d’ailleurs marqué un tournant dans la politique commerciale moderne des États-Unis. Pendant des décennies, l’économie mondiale avait évolué vers une plus grande intégration, mais ces tarifs — et les mesures de rétorsion qui ont suivi — ont exposé la fragilité du système.

Bien que l’augmentation globale des tarifs douaniers au cours du premier mandat de M. Trump ait été modeste (passant de 1,4 % du total des importations à 3 % en 2021), la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine qui a suivi a eu des répercussions économiques significatives, augmentant les coûts pour les entreprises, réduisant les investissements de ces dernières, et entraînant des distorsions dans les flux commerciaux mondiaux.

Mais les conflits commerciaux ne sont pas propres au XXIe siècle. L’histoire offre de précieuses leçons sur les coûts économiques et les conséquences inattendues du protectionnisme. Des tarifs américains de 1828, qui ont creusé les divisions régionales aux États-Unis, à la loi Smoot-Hawley de 1930, qui a aggravé la Grande Dépression, les guerres commerciales ont souvent exacerbé les ralentissements économiques au lieu de solutionner les problèmes qu’elles étaient censées résoudre.

Alors que les tensions commerciales refont surface en 2025, avec une pléthore de nouvelles menaces tarifaires sous le second mandat de l’administration Trump, la compréhension de ces parallèles historiques est importante — non seulement pour anticiper les implications économiques et financières, mais aussi pour reconnaître les schémas d’erreurs politiques qui pourraient être évités.

Commerce mondial : une perspective historique

L’économie mondiale après les années 1970 : l’ère de la libéralisation du commerce

L’ère moderne de la mondialisation a commencé dans les années 1970, sous l’impulsion des progrès technologiques, de la réduction des barrières commerciales et des réformes économiques favorables aux marchés. Au cours des cinq décennies suivantes, cette évolution a transformé l’économie mondiale, ce qui a permis aux pays de se spécialiser dans les domaines où ils disposent d’un avantage comparatif, d’améliorer la productivité et de favoriser l’interdépendance économique.

Plusieurs étapes importantes ont marqué cette période :

  • 1995 : La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a institutionnalisé les règles du commerce mondial, ce qui a permis de mieux gérer les différends.
  • 2001 : L’adhésion de la Chine à l’OMC a été un moment charnière, entraînant une explosion des flux commerciaux mondiaux.
  • Années 2000 : Les tarifs douaniers américains moyens ont chuté de façon spectaculaire, passant de plus de 30 % au début du XXe siècle à moins de 5 %.

Ces évolutions ont contribué à stimuler la croissance économique dans le monde entier, à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à développer de manière spectaculaire les chaînes d’approvisionnement mondiales. Elles ont toutefois également créé de nouvelles vulnérabilités, particulièrement pour les régions et les industries exposées à l’externalisation, à la délocalisation et aux pressions salariales concurrentielles. Les conflits commerciaux des années 2010 – et potentiellement des années 2020 – peuvent être considérés comme des réponses politiques à ces perturbations.

Les avantages du commerce : un contrepoint au protectionnisme

Historiquement, le commerce a été l’un des plus puissants moteurs de prospérité économique.

Les retombées positives incluent :

  • Une réduction des coûts pour la population grâce à une production mondiale efficace.
  • Du soutien à la concurrence et à l’innovation, en forçant les entreprises à améliorer leur productivité.
  • L’industrialisation rapide de pays comme la Corée du Sud, Singapour et la Chine, qui sont devenus des puissances économiques mondiales.

Les pays qui ont adopté le commerce ont connu des améliorations considérables de leur production économique et de leur niveau de vie, tandis que ceux qui ont érigé des barrières ont souvent stagné. C’est la raison pour laquelle l’histoire penche massivement en faveur du libre-échange par rapport au protectionnisme, même si les cycles politiques poussent parfois les pays dans la direction opposée.

Accords commerciaux : les piliers de l’intégration économique

Les guerres commerciales font peut-être les manchettes, mais ce sont les accords commerciaux qui jettent les bases de la coopération économique.

Trois accords majeurs ont façonné la trajectoire du commerce nord-américain au fil des décennies :

1. L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (1988) — Un accord historique qui a mené à une intégration économique nord-américaine plus poussée.

2. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, 1994) — L’extension du libre-échange au Mexique, la suppression de la plupart des tarifs douaniers et le renforcement de l’interconnexion des chaînes d’approvisionnement.

3. L’Accord Canada–États-Unis-Mexique (ACEUM, 2020) — Une entente qui a modernisé l’ALENA en introduisant de nouvelles règles sur le travail, le commerce numérique et la construction automobile.

Chaque étape a approfondi les liens économiques, mais a également créé des frictions politiques en raison des pertes d’emplois perçues, des déficits commerciaux et des différences en matière de réglementation. Alors que le risque d’une nouvelle guerre commerciale se concrétise ces accords deviennent encore plus essentiels puisqu’ils fournissent des cadres juridiques qui protègent contre les fluctuations extrêmes de politiques, assurant ainsi un minimum de stabilité pour les entreprises qui prennent des décisions d’investissement à long terme. Ils permettent également aux pays de négocier les différends commerciaux par le biais de mécanismes structurés au lieu de tarifs de rétorsion.

Si les tensions commerciales devaient s’intensifier à nouveau, la question évidente consisterait à savoir si ces accords sont suffisamment solides pour résister à la pression. Certains dommages se sont peut-être déjà matérialisés : l’administration Trump semble vouloir passer outre le cadre juridique de l’ACEUM, ce qui pourrait refroidir les décisions d’investissement dans toute l’Amérique du Nord.

Les leçons du passé : quand le protectionnisme se retourne contre ses instigateurs

Malgré l’attrait politique des tarifs douaniers, les expériences passées ont démontré que les torts du protectionnisme sont souvent plus grands que ses bienfaits. Trois épisodes clés illustrent cette tendance :

1. Le tarif de 1828 : une leçon en matière de conséquences involontaires. Surnommée « tarif des abominations », cette loi imposait des tarifs extraordinairement élevés pour protéger les fabricants américains. Si elle a profité au Nord industriel, elle a profondément nui au Sud agricole, qui dépendait du commerce avec la Grande-Bretagne. Elle a conduit à la crise de la Nulllification de 1832, préfigurant les tensions qui allaient plus tard déboucher sur la guerre de Sécession.

À retenir : les tarifs douaniers peuvent exacerber les divisions internes, ce qui en fait autant un risque politique qu’économique.

2. La loi Smoot-Hawley sur les tarifs douaniers (1930) : l’aggravation d’une crise. Conçue pour protéger les agriculteurs et les fabricants américains pendant la Grande Dépression, cette loi a augmenté les tarifs sur plus de 20 000 produits. D’autres pays ont adopté des mesures de rétorsion, ce qui a entraîné une baisse de 65 % du commerce mondial et exacerbé la Dépression. Cette loi est largement considérée comme l’une des politiques commerciales les plus néfastes de l’histoire des États-Unis.

À retenir : en période de crise économique, le protectionnisme aggrave souvent les récessions au lieu de les atténuer.

3. La guerre commerciale de 2018 : une étude de cas sur la perturbation des marchés. L’administration Trump a imposé des tarifs sur 250 milliards de dollars de produits chinois, invoquant le vol de propriété intellectuelle et des pratiques commerciales déloyales. La Chine a riposté en ciblant l’agriculture et l’industrie manufacturière américaines. Résultat? Des coûts plus élevés pour les entreprises américaines, des marchés volatils et des chaînes d’approvisionnement mondiales perturbées.

À retenir : même lorsque les tarifs douaniers visent à corriger de véritables déséquilibres, ils engendrent souvent plus d’incertitude que de solutions.

L’économie américaine : nous ne sommes pas en 2018

Alors que les tensions commerciales réapparaissent, le paysage économique d’aujourd’hui est très différent de celui de 2018. À l’époque, l’inflation se situait à son niveau cible et l’économie américaine tournait en-dessous de son potentiel depuis des années à la suite de la crise financière de 2008-2009.

La politique phare de Donald Trump consistait en d’importantes réductions d’impôt qui ont stimulé l’économie américaine, portant l’indice ISM manufacturier à près de 60. Même avec ces baisses d’impôt, le déficit du gouvernement fédéral américain, à 3,5 %, demeurait gérable, et les ménages disposaient d’une marge de manœuvre significative, avec un taux d’épargne de 5,7 %.

En 2025, l’économie américaine est en situation de demande excédentaire, avec une inflation sous-jacente supérieure à 3 %, alors que l’objectif d’inflation de 2 % a été atteint pour la dernière fois en 2021. Le secteur manufacturier n’a toutefois pas l’élan de 2018, comme le montrent les indices PMI manufacturiers, près de 50. De plus, aucune réduction d’impôt substantielle n’est prévue dans un contexte où le déficit avoisine désormais les 8 %. L’épargne des ménages est également faible par rapport aux normes historiques, à 3,8 %.

L’économie américaine s’approche donc de ses limites, avec une inflation élevée et un déficit gouvernemental important, ce qui fait en sorte que la marge d’erreur est faible. Et c’est sans parler de la politique des taux « élevés pour plus longtemps » de la Fed, qui se traduit par un resserrement des conditions financières, réduisant ainsi la marge de manœuvre contre les chocs commerciaux.

L’ensemble des considérations économiques énumérées ci-dessus pourrait ne pas suffire à convaincre le président Trump que ses politiques commerciales sont mal avisées et inopportunes, mais devraient être suffisantes pour convaincre les investisseurs que son administration joue un jeu risqué et qu’une bonne dose d’incertitude devrait être intégrée à toute perspective d’investissement jusqu’à ce que plus de clarté soit apportée.

Pour l’instant, les acteurs du marché se sont montrés prudemment optimistes face à la stratégie qui consiste à brandir des menaces tarifaires pour ensuite retarder leur mise en œuvre. Mais cela ouvre un nouveau risque de complaisance face au danger.

Conclusion

L’histoire est sans équivoque : le protectionnisme comporte des risques économiques importants. Bien que les tarifs douaniers puissent être considérés comme des mesures défensives, ils se transforment souvent en mesures de rétorsion, perturbant ainsi le commerce, augmentant les coûts et, finalement, ralentissant la croissance.

Alors que les décideurs politiques réévaluent leurs stratégies commerciales, les leçons du passé devraient servir d’avertissement : dans la quête de puissance économique, les guerres commerciales finissent souvent par affaiblir les économies mêmes qu’elles visent à protéger.